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Le triomphe de la vérité

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Gouvernance de l’éducation:L’école béninoise à l’épreuve de la corruption


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Pour les enfants des écoles publiques, la corruption est un handicap pour leur avenir

La corruption s’invite dans les écoles au Bénin. Cela ralentit la gratuité avec de multiples conséquences et difficultés pour les enfants pauvres.

Un filet de larme traverse la joue gauche de Jeanne. Elle regarde, stupéfaite, le bulletin que lui tend Joël, son fils aîné. « Rang : 1er », lit-on sur la 4ème page. Ses mains tremblent et laissent glisser le paquet de mèche qu’elles tenaient. Elle ne se rend pas compte que sa cliente – peut-être la seule de la journée – lui tend un billet de 1.000 fCFA (1,52€).

Elle ne cache pas son émotion. « Mon fils, si tu continues, je suis prête à tout pour ton éducation », lâche-t-elle enfin. Coiffeuse, la trentaine, elle travaille dans une baraque en bambou qui lui sert d’atelier. De parents pauvres, elle n’est pas allée à l’école. Illettrée, elle a toujours été maltraitée par ces conjoints.

 Ce qui explique qu’elle se soit mariée à plusieurs reprises. Actuellement divorcée, elle a trois enfants à charge. Ses revenus dépendent de l’affluence des clientes. Ses comptes mensuels oscillent entre 40.000 et 60.000 f (entre 60,98 et 91,47 €) comparativement à un instituteur qui gagne entre 70.000 et 300.000 f (106,70 et 457,35 €). Malgré ses maigres moyens, elle privilégie l’éducation de ses enfants.

Pour elle, la gratuité de l’école devait alléger ses dépenses. Erreur. A la rentrée 2011-2012, elle a déboursé 2.000 f (3,05 €) pour inscrire Joël au CE 2 à l’école publique de Gbodjo à Abomey-Calavi. Après d’âpres négociations. Les autres parents payent 5.000 f (7,62 €) par enfant. Elle corrompt pour l’avenir de ses enfants. « Si vous ne donnez pas, les directrices vous orientent vers des écoles privées qui coûtent chères », dit-elle pour avoir payé, l’année dernière, « très difficilement 35.000 f (53,36 €)». « Ce n’est pas pour les pauvres », marmonne-t-elle. Les enseignants du public en profitent pour faire du chantage.

Une vieille pratique

Depuis des années, la corruption a lieu lors des inscriptions. Jeanne, Josephine Acakpo (35 ans, 8 enfants à charge) avait dû accepter de corrompre aussi les directrices de l’école de Gbodjo pour inscrire ses enfants à la rentrée d’octobre 2010. Elle révèle qu’« elles exigent 5000 f par enfant pour la bière ». Un euphémisme pour adoucir la corruption. C’est 7.000 à 8.000 f (10,67 à 12,8 €) pour le CM2. « Bien que mes enfants aient déjà fréquenté cette école deux ans auparavant, poursuit-elle, elles sont catégoriques ». « Elles refusent de prendre moins, menacent et vous interdisent d’en parler», précise-t-elle, apeurée.

 « J’ai dû faire un prêt de 3.000 f (4,57 €) pour négocier l’admission de mon second enfant », dévoile-t-elle. L’instituteur lui ayant avoué devoir partager l’argent avec sa directrice. Claude Dagba, directrice de Gbodjo/B, nie, mais n’exclut pas que ces collaborateurs abusent des parents. Cela a cours depuis plusieurs décennies. Les directeurs fixaient les droits d’écolage en violation des normes. Dès le début des vacances, ils affichaient que les inscriptions sont terminées.

Ce qui obligeait les parents à accepter les conditions de corruption. A l’avènement de la gratuité de l’école, tout s’est aggravé. Ce sont surtout les écoles présentant des mesures de sécurité pour les enfants qui font monter les enchères. De nombreux parents victimes citent, entre autres, les écoles de Fifadji, de Sikè Sud, d’Akpakpa-centre et l’école urbaine-centre de Cotonou. A l’école de Gbodjo, c’est presque systématique.

Les faces cachées

La corruption, c’est aussi les ventes obligatoires de carnets de correspondance entre 300 et 1.500 f (0,46 et 2,29 €) pour un coût unitaire d’impression de 75 f (0,11€). Les feuilles d’examens se vendent à 125 f (0,19 €), la liste de fournitures à 100 f (0,15 €). Les frais d’évaluation et de photocopie sont à 1.500 f. Sans traçabilité. Pourtant les frais de ces documents administratifs utiles pour le fonctionnement devraint être inscrits au budget de l’école.

« Ce n’est pas aux parents de payer », dénonce C. Comlan, inspecteur de l’enseignement primaire. L’insuffisance de matériels est aussi un fonds de corruption autant que l’éloignement des domiciles des parents de leurs lieux de travail. « Les parents, soucieux de la sécurité de leurs enfants, les inscrivent dans des écoles en ville pour confier la garde aux enseignants à midi et le soir jusqu’à 19 ou 20 heures. C’est contre le payement des cours de renforcement que les enseignants justifient par un arrangement des notes. « Ce qui cache le niveau réel de la classe », démontre C. Comlan.

Le dépôt des dossiers d’examen est une aubaine. 3.000 f au lieu des 500 f (0,76 €) officiels. En avril 2010, le président de l’Observatoire de lutte contre la corruption, un organisme public, a surpris, à l’école de Hlazounto, une directrice qui a majoré des frais de dépôt de dossier. Devant les caméras de télévision, elle le menace et lui interdit de revenir dans l’école. Elle ne nie pas détenir une partie des trop perçus.

Corrompre pour l’Etat

Même les circonscriptions scolaires perçoivent aussi ces ‘’faux frais’’. En 2011, la veille de la journée nationale de la lutte contre la corruption, célébrée chaque 08 décembre, plus de 300 écoles privées d’Abomey-Calavi 1 ont dû payer, chacune, 4.000 f (6,1 €) à la circonscription scolaire pour obtenir un jeu d’épreuves. Sans reçu. « Ce sont pourtant les enseignants qui proposent les épreuves », dévoile Firmin K., censeur d’une école privée.

Où passent ces millions ? Dans les salaires et les frais de fonctionnement. L’Etat n’assurant pas les salaires d’une partie du personnel tels que les chauffeurs, les agents de liaison… Un dysfonctionnement dont profitent les directeurs pour recueillir, sans reçu, 1.500 f par élève et par classe. Cette démission de l’Etat renforce d’autres formes de corruption. Entre éducateurs cette fois. Des enseignants gèrent le système éducatif à la place des planificateurs de l’éducation désœuvrés.

L’affairisme prend place. Des affectations par téléphone en pleine année scolaire depuis la Direction départementale des enseignements maternelle et primaire de l’Atlantique/Littoral, par des personnes incompétents à cette tâche sans informer ni le directeur de l’école ni le Chef de la circonscription scolaire.

Des nominations en violation de la loi. Des enseignants nommés pour servir de comptables dans les circonscriptions scolaires alors qu’ils ne respectent pas le profil. Résultats : on note, comme à So-Ava ou Zinvié, des faux et usages de faux, des surfacturations et falsifications de factures sur la base de commandes non réceptionnées en connivence avec les directeurs.

Complicité collective

Entre enseignants, c’est aussi le rançonnement lors des examens de fin d’année. Les surveillants de salle doivent défalquer, chacun, 5.000 des 18.000 f (27,44 €) perçus au profit de certains responsables. C’est un réseau fermé pour des gens de confiance. Une pratique qui est aussi courante dans le secondaire. En 2011, Etienne S. et Wilfried D. enseignants au collège public de Savè (Centre du Bénin) en profitent pour escroquer leurs collègues sous prétexte d’intercéder pour leur sélection à la correction du BEPC.

 Un leurre. Escroquerie aussi chez les responsables d’unité pédagogiques qui collectionnent 10.000 f par école pour des séances déjà financées par l’Etat. Des élèves proposent aux enseignants de l’argent contre des arrangements de notes. Des parents aussi font le jeu pour la falsification de notes en faveur d’élèves redoublants ou exclus pour insuffisance de travail. L’objectif : assurer leur admission dans d’autres établissements. En 2010, plusieurs élèves ont été interceptés au CEG 2 de Lokossa (au Nord ouest de Cotonou) avec des bulletins de notes falsifiés.

C’est l’œuvre d’un réseau de professeurs, de chefs d’établissements et d’informaticiens. Certaines écoles privées arrangent les notes pour garder leurs élèves. Dans ces cas, l’indulgence est exigée chez les professeurs. Des enseignants entretiennent des réseaux personnels. Jeanne se rappelle avoir donné de l’argent à l’instituteur de Joël, l’année dernière, à l’école privée Jules Ferry de Saint-Exupéry à Abomey- Calavi.

 « Pour le motiver à bien l’encadrer. Tout a bien marché au début, mais il a abandonné Joël parce que je n’ai pas continué», regrette-t-elle. Fallait-il donner ? Jeanne soupire : « J’aurais dû le faire pour éviter une année perdue ».

‘‘Pour la bière’’ou pour l’apprentissage

« Que pouvons-nous ? », lâche-t-elle impuissante puis s’interroge « Voulez-vous que mon enfant reste à la maison ? ». Elle s’énerve et raconte l’histoire d’un père qui, à la rentrée d’octobre 2011, à défaut de payer les 10.000 f (15,24 €), envoie ses deux enfants en apprentissage. « Combien d’enfants sont dans ce cas ? », se demande-t-elle.

 « La corruption participe pour 25% du taux de déscolarisation », estime Christophe Adjévi alors que le temps d’occupation des classes est de 51% dans les écoles. « Aidez-nous à combattre la corruption dans le secteur de l’éducation », plaide le président du Conseil national de l’éducation, Paulin Hountondji, à l’endroit du président de la République en décembre 2011.

 Christophe Adjévi, également psychologue de l’éducation, constate que l’école se détourne de sa mission sociale. Il craint que l’idée selon laquelle « les plus habiles sont ceux qui savent voler », devienne la règle. Ce qui n’émeut pas Jeanne. « S’il faut continuer par corrompre, je le ferai pour mes enfants », tranche-t-elle.

A. P. Virgil HOUESSOU

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