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Le triomphe de la vérité

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Entretien avec Emile DOHOU, technicien orthoprothésiste:« Les Béninois ne veulent pas s’occuper de la santé de leurs enfants »


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Emile DOHOU, technicien orthoprothésiste au Centre d’appareillage et de rééducation pour les handicapés Bethesda de Lokossa

Emile DOHOU travaille au Centre d’appareillage et de rééducation pour les handicapés Bethesda de Lokossa depuis sa création en janvier 1988. Donc, près d’un quart de siècle consacré au handicap moteur. Une vie passée à combattre les préjugés et à réparer les séquelles doublées de rejets et souffrances dont sont accablés ceux qui naissent avec un handicap. Affectueusement appelé Fôôvi (grand frère) par les pensionnaires et les usagers, il aborde dans l’entretien qui suit les difficultés qui ne cessent de faire reculer les barrières du rejet et de la marginalisation dressées par l’ignorance dont sont victimes les personnes handicapées.

L’Evénement Précis : Pouvez-nous présenter ce centre ?

Emile DOHOU : C’est un centre d’appareillage et de rééducation pour handicapés. Créé depuis janvier 1988, c’est une structure diocésaine dont l’Evêque est le responsable. Nous nous occupons des handicapés moteurs que nous traitons et réadaptons. Quand nous avons commencé, nous avions des cas de poliomyélite.

Après, il y a eu des enfants nés avec une infirmité motrice cérébrale, des enfants avec des déformations des jambes que nous appelons genou varum ou genou valgum. Nous avons aussi des enfants avec des déformations congénitales telles que les pieds bots encore appelées varus équin. Nous prenons aussi en charge les élongations du plexus brachial, et puis d’autres pathologies, notamment les idiopathies, c’est-à-dire des maladies dont on ne connaît pas la cause.

Comment intervenez-vous sur ces enfants ?

Nous prenons les enfants après consultation. Ceux qui ont des rétractons, des déformations sont plâtrés. Ensuite, nous faisons des corrections successives. Quand les jambes sont redressées, nous procédons à l’ablation du plâtre. L’appareillage suit, et après la rééducation continue automatiquement parce que nous avons un service de kinésithérapie dans le centre. On habitue les enfants à marcher et à reprendre une vie normale.

 Et quand on est sûr que ces enfants peuvent quitter le centre pour aller à l’école ou apprendre un métier, on les libère et ils reviennent au centre sur rendez-vous. Nous sommes obligés d’envoyer certains dans des centres d’apprentissage parce qu’ils ne peuvent plus aller à l’école et après nous essayons de les réinsérer.

De quels moyens disposez-vous pour le fonctionnement du centre, notamment le traitement des malades?

C’est une organisation hollandaise, la Fondation Liliane, qui nous vient en aide pour le traitement des malades. Ils les prennent de 0 à 25 ans. Mais avant qu’ils ne prennent les enfants en charge, on doit établir des objectifs à atteindre sur chacun des enfants. Ce n’est après adhésion de leur part qu’ils prennent les enfants en charge. On ne peut pas se lever et prendre en charge un enfant.

Etes-vous parfois contraints de rejeter certains enfants ?

Comme c’est un centre diocésain, c’est vrai qu’on ne peut pas rejeter les enfants parce que les parents n’ont pas les moyens. On essaie de parler avec les parents et ensemble avec eux on discute des conditions dans lesquelles la prise en charge peut être faite. Nous recevons des enfants d’un peu partout. Nous avons des Togolais, des enfants en provenance des départements de tout le Bénin, le Zou, l’Ouémé, l’Atlantique etc.

Comment faites-vous pour convaincre les parents de vous confier leurs enfants ?

On peut aller dans une commune, dans un village et demander au maire ou chef du village de gongonner ou de poser des affiches. Quand les gens se regroupent, on leur parle du handicap moteur et des possibilités chez l’enfant handicapé à mener une vie normale. On met en exergue ces possibilités-là et si ça peut amener les gens à changer de mentalité, ils le font. Parce que quand nous allons dans certains villages, on constate que les gens préfèrent dépenser dans les enterrements que de s’occuper de la santé de leur enfant. On essaie donc de les sensibiliser et cette sensibilisation-là fait partie du travail que nous faisons.

Vous n’êtes pas sans ignorer que les enfants handicapés sont traités de sorciers ou de serpents et n’ont pas de considération. Comment faites-vous pour convaincre les parents ?

C’est justement ce qui est à l’origine de la création de ce centre. Au cours d’une journée des personnes handicapées, alors que je faisais partie de la jeunesse chrétienne, j’avais accompagné une religieuse et au cours de notre tournée, nous sommes allés dans un village et avons commencé par dénicher en quelque sorte les enfants cachés. Nous leur avons donné leur bain et une certaine affection, de manière à amener leurs parents à s’intéresser à eux.

 Nous avons expliqué aux parents que les enfants ne sont pas des serpents ou des Tohossou comme ils le pensent, mais qu’ils ont souffert de certains maux. Petit à petit, ces parents ont commencé par changer de comportement vis-à-vis de ces enfants-là. Avant on essayait de forcer un peu. Mais, aujourd’hui on préfère mettre l’accent sur plus de sensibilisation au niveau des parents. Si vous forcez et que plus tard il y a des déconvenues, c’est vous qui serez tenu pour responsable.

A quelles difficultés êtes-vous confrontés dans la bonne marche du centre ?

Nous avons des difficultés. Le manque d’argent est la grande difficulté à laquelle nous sommes confrontés. Parce que traiter un enfant, un jeune handicapé aujourd‘hui, c’est au-delà de 300 000 francs CFA. Si la Fondation Liliane n’arrivait pas à prendre en charge les enfants, qui va le faire ? C’est là que se situe notre grande difficulté. Parce que le matériel orthopédique coûte très cher et une bonne partie de ce matériel s’achète en France ou en Allemagne.

En dehors de ça, nous voulons faire beaucoup de choses. Mais nous sommes limités, faute d’argent. On doit engager un certain nombre de spécialistes, mais on ne le fait pas parce que nous ne sommes pas en mesure de pouvoir payer leurs salaires. Or prendre en charge un enfant handicapé nécessite l’intervention d’un assistant social, d’un ergothérapeute, un psychologue, etc.

Combien de pensionnaires compte le centre ?

Aujourd’hui, le centre compte environ 55 enfants. Et c’est le peu qu’on accueille depuis 24 ans, parce que cette année je n’ai pas eu le temps de sortir pour aller consulter des enfants.

Recevez-vous une aide de l’Etat ?

Pour le moment nous n’avons pas l’aide de l’Etat. Il faut le dire et l’Etat même le sait. Mais nous le souhaitons vraiment.

Entretien réalisé par

Flore S.NOBIME

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