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Le triomphe de la vérité

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Entretien avec Me Sadikou Alao, Président du Gerdess Afrique:« Pendant longtemps encore, le Bénin peut se considérer à l’abri des thèses défendues par Boko Haram»


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Avocat au barreau et expert en gouvernance, Me Sadikou Ayo Alao est un observateur attentif de la vie politique nationale et internationale. Dans cet entretien, le Président du Groupe d’Etudes et de Recherches sur la Démocratie et le Développement Economique et Social (Gerdess-Afrique) livre sa lecture du phénomène Boko Haram auquel se trouve confronté depuis quelques années le Nigéria. Si Me Alao ne perçoit pas ce groupe terroriste comme une menace immédiate pour le Bénin, il invite cependant les autorités béninoises à prendre des dispositions notamment à travers la création d’une cellule stratégique d’anticipation, pour prévenir l’éventualité de l’extension des activités de Boko Haram au Bénin.

L’Evenement Précis: Quelle est votre appréciation des actions du mouvement Boko Haram au Nigéria ?

Me Sadikou Alao: C’est une situation assez complexe puisqu’ils disent que, comme son nom l’indique, c’est d’abord une démarche nationaliste qui veut dire que la culture occidentale est un péché. En d’autres termes, les gens de Boko Haram visent le revirement de tous les pays africains depuis les indépendances qui sont passés de l’assimilation au nationalisme. Nous pouvons en juger par le fait qu’il y a quelques années, les gens préféraient donner des noms occidentaux à leurs enfants et puis après, tout le monde a pensé à donner un prénom local et puis de plus en plus les gens préfèrent donner des noms locaux à leurs enfants.

Donc, Boko Haram, cette nébuleuse qui a ajouté une formule islamique en pensant à tort que l’islam est automatiquement assimilé à la culture traditionnelle, s’est quelle que peu trompée. Elle ignore un peu que même l’islam est importé Elle n’est pas totalement similaire ou assimilée à la culture africaine. Nous avons nos cultures. Ce n’est pas sans surprise qu’il y a tous ces retours en arrière mais le fait de vouloir assimiler culture traditionnelle et islamisme, c’est aller un peu trop loin. Et évidement, lorsqu’ils parlent d’islamisme et de culture africaine, c’est un peu pour stigmatiser les religions chrétiennes.

 Vous savez que la colonisation est arrivée en Afrique à travers la culture chrétienne et ils pensent que c’est plus facile pour eux de stigmatiser la chrétienneté dans la mesure où elle a été un pont non seulement pour la colonisation mais aussi la culture occidentale. Voilà un peu le genre d’assimilation que fait Boko Haram. Je ne suis pas certain que Boko Haram ait vraiment un problème contre les chrétiens en tant que tel. C’est un problème à l’origine culturelle.

Quelles sont selon vous les raisons de l’avènement de Boko Haram ?

Il faut d’abord comprendre que c’est un problème qui est lié à la misère. Les thèses développées par Boko Haram fécondent énormément dans les contextes de misère. Avec l’endoctrinement islamique, c’est facile d’avoir des candidats à la mort parce qu’en fait, entre la mort et la vie, pour ceux qui souffrent beaucoup et qui sont dans la misère, il n’y a pas beaucoup de différences. Et lorsqu’on fréquente certaines écoles coraniques du genre des écoles dans le nord du Nigéria, c’est très facile d’assimiler les deux et d’avoir des candidats au suicide.

C’est pour cela que vous avez beaucoup de gens au suicide, tout simplement parce que le niveau de misère est tel qu’on trouve plus facilement des candidats à ce genre d’aventure. Si Boko Haram féconde, c’est parce que la misère dans certains pays devient de plus en plus profonde. Les problèmes intrinsèques de Boko Haram ne pourront être résolus qu’avec l’élévation du niveau de développement. C’est-à-dire qu’il faut s’attaquer au vrai problème de Boko Haram qui est le niveau de développement. Maintenant, est-ce que ça suffira à résoudre le problème? Ce n’est pas évident parce que Boko Haram est maintenant à la phase de l’instrumentalisation.

Parce qu’il y a les thèses défendues par Boko Haram qui concernent les problèmes islamiques et la misère ; il y a maintenant les problèmes politiques qui s’approprient es thèses développées par Boko Haram mais tout en restant toujours dans la clandestinité. Vous avez des gens tout à fait officielles, des personnalités connues qui sont mêmes aux affaires que les thèses de Boko Haram arrangent pour résoudre les problèmes de frustration économiques et politiques.

Si on veut comprendre les deux grandes frustrations du Nigéria de ces dix dernières années, elles ont pour nom frustration économique. Les gens du nord ont cessé d’avoir le contrôle de l’argent du pétrole. Les devises étrangères étaient contrôlées par les dignitaires du nord. Depuis quelques années, c’est une inversion de la situation. Les dernières élections ont contribué à renforcer cette situation où les gens du nord ont l’impression que les gens du sud ont tout fait pour leur arracher le pouvoir.

 Ce n’est pas seulement par la mort du président Yar’Adua qui est déjà une affaire assez compliqué mais aussi les élections en elles-mêmes. Donc, sur ce point-là, on a plein de gens qui sont plus ou moins acquis ou sont sympathisants de l’utilisation des thèses de Boko Haram. Et c’est pour cela qu’aucun dignitaire du nord ne prendra la parole officiellement et publiquement pour condamner Boko Haram parce que Boko Haram en lui-même, c’est une nébuleuse. Donc, on ne sait pas qui est qui. Lorsqu’on utilise ou encourage en dessous de manteau les thèses de Boko Haram, ça peut permettre de rediscuter de tous les problèmes et de les mettre sur la table.

 C’est pour cela que nous avons conseillé à l’élite du Nigéria de se retrouver pour réexaminer, faire une nouvelle lecture du système fédéral. Parce qu’en fait, c’est une relecture du système fédéral qu’il faut et le système fédéral tourne autour du dispatching de l’argent du pétrole. C’est-à-dire que lorsqu’on fera une nouvelle lecture du système fédéral, ça permettra que les problèmes régionaux ne puissent pas être instrumentalisés au point de devenir des problèmes nationaux.

Est-ce que le problème de Boko Haram est susceptible de s’étendre au delà des frontières du Ngéria?

Déjà pour être solide, Boko Haram s’est rapprochée de certaines nébuleuses qui existent ailleurs. Un analyste a fait observer que les révoltes et les combats dans les pays du Sahel ont atteint Boko Haram et que ces organisations travaillent ensemble. D’autres disent qu’en Somalie, ils sont allés se former et ont des pratiques, des mouvements terroristes somaliens. C’est peut-être un peu vrai mais en fait la contagion du mal est toujours plus facile à réaliser.

Mais, est-ce que cela est susceptible d’atteindre des pays comme ceux du sud ? Oui et non. Puisque déjà au Nigéria, les chrétiens aussi se vengent contre certaines mosquées dans la région de Bénin City. A Lagos, on n’a pas encore connu des précédents mais c’est possible que ça y vienne. Mais, c’est difficile que ça contamine des pays du sud parce que ce ne sont pas des préoccupations de ces pays-là comme le Bénin et autres. Mais, faisons attention.

 Si la misère est trop grande, les thèses de Boko Haram auront des adeptes. Ce qui est important, c’est de faire en sorte que la misère recule, que l’illettrisme recule parce que c’est l’ignorance, l’inculture et la misère qui font le lit aux thèses de Boko Haram. Nous avons un travail à faire c’est pour ça qu’au Bénin lorsque nous parlons de mettre sur pied une véritable cellule, quelque chose de solide et de permanent, pluridisciplinaire qui s’occupe non seulement du secteur de la sécurité, du secteur de la démographie, du secteur de l’économie et de l’anticipation surtout ce qui concerne notre économie et notre développement qui,

en permanence, permette au gouvernement d’avoir à sa disposition un outil pour anticiper l’ensemble de notre situation avec le Nigéria parce que nous ne pouvons jamais ou en tous cas pas avant plusieurs siècles, nous passer du Nigéria. Nous avons besoin de vivre ensemble, en harmonie mais pour que l’harmonie se fasse, il faudrait que nous apprenions à mieux connaître et à mieux domestiquer nos relations avec le Nigéria.

Le Bénin peut-il alors servir de base arrière à Boko Haram pour mener ses activités criminelles au Nigéria ?

Non, ce sera trop difficile que le Bénin puisse servir de base arrière à Boko Haram parce que les conditions socio-culturelles et les conditions économiques sont très loin des foyers sur lesquels se développement Boko Haram. Vous savez qu’il y a des problèmes culturels énormes. Ce qu’il faut craindre, c’est la contagion parce que, lorsque le lit est le même, les thèses de Boko Haram peuvent trouver à se développer parce que le fond culturel est presque le même ; tout le monde est nationaliste mais tout le monde n’est pas nationaliste au point de considérer la culture des autres, même si c’est la culture occidentale, comme une activité criminelle.

Donc, culturellement, nous en sommes loin mais la pauvreté, la misère, l’illettrisme sont des lits sur lesquels les groupes comme Boko Haram se développent. Et c’est ça qu’il faut faire reculer pour que ces lits n’existent pas et que Boko Haram ne puissent s’installer. Boko Haram n’est pas une menace pour le Bénin, pas avant longtemps. Pendant longtemps encore, le Bénin peut se considérer comme à l’abri des thèses défendues par Boko Haram. Mais, faisons en sorte que cette situation soit maintenue durablement parce qu’il ne faut pas que la misère donne place à des groupes comme Boko Haram

Votre conclusion à cet entretien

Rien ne vaudra la mise sur pied d’une entité d’étude et d’anticipation de l’ensemble de nos relations socio-économiques et culturelles avec le Nigéria. Il faut savoir gérer le voisinage. Et l’on ne peut le gérer qu’en ayant une possibilité de prédire avec des modules bien précis pour faire face à chaque situation y compris la situation de Boko Haram, y compris la criminalité frontalière. Nous devons avoir une cellule plurisectorielle qui travaille avec des moyens suffisants et qui informe ceux qui ont la responsabilité de diriger notre pays sur les dispositions à prendre pour faire face à cette situation pour que nous sachions mieux gérer notre voisinage.

Entretien réalisé par

Jean-Claude DOSSA

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