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Le triomphe de la vérité

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Editorial:L’argent est terminé


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Ceux qui ont des enfants au primaire et surveillent leurs cahiers ont dû se rendre compte de profonds changements dans les leçons. Les anciennes appellations, autrefois proscrites, sont revenues en force. Morale, civisme, histoire, géographie ont été remises au goût du jour. Pourquoi ces curieux changements ? En attendant que la rédaction de votre journal n’achève une enquête qu’elle mène à cet effet, il est certain qu’il s’agit d’un revirement sémantique important au regard des options opérées par l’approche dite par compétence en usage depuis plus d’une décennie.

Pour y parvenir, les enseignants ont été recyclés aux nouvelles normes durant tout le mois de novembre. Avec interdiction formelle d’évoquer un quelconque retour à l’ancien programme. Sinon, les inspecteurs et autres conseillers pédagogiques piquent une vigoureuse colère. Pour eux effectivement, c’est une intolérable injure que de laisser supposer même qu’ils se sont fourvoyés durant une longue décennie.

Mais pour les instituteurs eux-mêmes, inutile de se voiler la face, l’argent est terminé. Quel argent ? Celui qui a servi à engraisser pendant tout ce temps les cadres de l’éducation primaire et secondaire, adeptes de ce nouveau programme devenu approche par compétence, contre l’avis de la grande majorité des enseignants. Sous cape et souvent avec une étonnante constance, ils ne manquent jamais d’attirer (en privé) l’attention des parents sur les dangers de cette approche suicidaire pour les enfants.

Chacun d’eux a peur de son CP ou de son inspecteur qui exerce ici une tutelle intellectuelle implacable, rendue possible par l’obséquiosité naturelle des personnels enseignants. Aucun d’eux ne pouvait réellement refuser d’appliquer l’hideux programme, sous peine de recevoir les notes minables que tout le monde redoute. L’administration scolaire elle-même, formatée pour défendre ses intérêts, s’était toute entière parée au profit des juteux émoluments provenant des bailleurs de fonds.

L’USAID et le FNUAP y ont investi leurs milliards, miel d’autant plus intéressant qu’il ne coûtait que le prix d’un ajustement des programmes nationaux sur les pratiques provenant des Etats-Unis ou du Canada. Exigence facile à satisfaire. Et nous voilà lancés à marche forcée dans une transformation en profondeur de la pédagogie et des contenus notionnels, avec les heurs et les malheurs que l’on sait.

Si les pratiques anciennes peuvent être critiquables, elles ne méritaient pas vraiment d’être « rasées » comme elles ont pu l’être. Conséquence, les résultats du CEP truqués au vu et au su de tout le monde, ont affiché des records de réussite tandis que parents et enseignants constatent au fil des années l’inquiétante dégradation du niveau de leurs enfants.

De grossiers montages docimologiques ont permis de gonfler les notes pour donner l’illusion que les enfants travaillent mieux qu’avant. Le temps a permis de les découvrir, même si les mécanismes de leur mise en œuvre se révèlent impossibles à enrayer d’un coup. C’est ainsi que nos enfants sont devenus des génies en classe, alors que tout le monde a pu constater la baisse généralisée des niveaux. Les plus avisés ont eu la bonne idée de solliciter les services de répétiteurs grassement rémunérés. La douce insistance des enseignants ne pouvait pas passer inaperçue non plus. Et la grande masse des parents pauvres est restée impuissante à arrêter le carrousel.

Au long de ces années d’incurie pédagogique et de démission de l’intelligence, quelques-uns ont poussé de véritables cris d’alarme. Comme toujours, ils n’ont pas été entendus, mais plutôt voués aux gémonies, ridiculisés. La CNSTB de Gaston Azoua ainsi que le parti communiste du Bénin y sont allés de leur verve et de leur énergie. Certains professeurs d’université comme le professeur Félix Iroko ont mené des travaux de terrain qui ont révélé des drames réels et le désarroi de la plupart des acteurs.

Un psychopédagogue comme le Professeur Jean-Claude Hounmènou, par ailleurs directeur adjoint de l’Ecole normale supérieure de Porto-Novo, ne rate aucune occasion pour dire sa désapprobation. Pour lui, l’APC est le résultat d’une mauvaise compréhension de la pédagogie participative.

Les corrections apportées d’année en année pour sauver les meubles ont permis d’endiguer quelque peu la descente aux enfers de l’éducation nationale. Nous nous rendons simplement compte que les fondamentaux de l’éducation se remettent en place, progressivement. Comme une parenthèse malheureuse, le « nouveau programme » rebaptisé APC a sacrifié des générations entières d’élèves, des générations entières de Béninois et finalement un pan de l’avenir de ce pays se trouve en point d’interrogation.

Olivier ALLOCHEME

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