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Le triomphe de la vérité

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Piraterie et commercialisation des œuvres artistiques au Bénin:La piraterie, un palliatif pour le chômage, un crime contre les artistes


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Dans les coins de rue, en plein cœur des campus universitaires, dans les marchés béninois et autres places publiques, ces jeunes de la tranche d’âge de 15 à 30 ans environ, sac au dos ou devant leurs étalages frauduleux, commercialisent allègrement des œuvres artistiques piratées. Soit déscolarisés, désœuvrés ou chômeurs, ils défient les structures spécialisées dans la lutte anti-pirate et élargissent le marché illicite de la piraterie pour assumer leur pain quotidien au grand dam des créateurs que sont les artistes.

Gérard est étudiant en fin de second cycle en anglais et en année de licence à la Faculté de droit et de sciences politiques à l’Université d’Abomey-Calavi. Boursier, il investit ses allocations universitaires dans la commercialisation des œuvres artistiques piratées. Son objectif est de fructifier ses allocations en vue de pouvoir supporter les petites dépenses liées à ses études surtout qu’il est issu d’une famille modeste qui ne compte que sur son devenir pour espérer un mieux-être social.

Tout comme lui, le jeune Expédit, rencontré à la plage de Fidjrossè en pleine opération de charme pour vendre ses Cd piratés est aujourd’hui contraint de se lancer dans cette activité illicite pour pouvoir joindre les deux bouts depuis qu’il a été obligé de laisser les bancs faute de moyens après le décès de sa mère. « Qu’est-ce-que je peux faire d’autre ? Je n’ai rien appris et je n’ai pas beaucoup fréquenté non plus. Il faut pourtant bien que je mange », affirme-t-il pour justifier son acte.

Grâce au revenu de la vente des Cd piratés, il pourra supporter sa quote-part du loyer avec ses 4 autres amis vivant dans une location à Agla Akplomey, un quartier populeux de Cotonou sis dans le 13ème arrondissement. Et pourtant, c’est une activité fortement réprimée par la loi N° 2005-30 du 10 avril 2006 relative à la protection du droit d’auteur et des droits voisins en République du Bénin. En son article 109, il est clairement stipulé : « La reproduction d’œuvres littéraires et artistiques sans autorisation préalable des titulaires de droit d’auteur et des droits voisins et de l’organisme de gestion collective prévue à l’article 12 est qualifiée de piraterie d’œuvres littéraires et artistiques. La piraterie d’œuvres littéraires et artistiques est un délit.

Elle est une contrefaçon punie par les dispositions de la présente loi ». Autrement dit, celui qui contrefait ou commercialise les œuvres contrefaites est passible d’une peine allant jusqu’à 10 ans d’emprisonnement ferme. Les sanctions pécuniaires prévues dans la même loi sont toutes aussi sévères. Les dispositions des articles 110 et 111 de la loi sont bien précises en la matière. A l’article 110, il est mentionné : « La contrefaçon, sur le territoire béninois, d’ouvrages publiés en République du Bénin ou à l’étranger est punie d’un emprisonnement de trois mois à deux ans et d’une amende de cinq cent milles (500.000) à dix millions (10.000.000) de francs ou de l’une de ces deux peines seulement sans préjudice de la réparation des dommages subis par les victimes… ».

En complément, l’article 111 précise : « Sont punies des mêmes peines, à l’article 110 de la présente loi, toute reproduction, représentation, exécution ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit ou d’une création protégée par les droits voisins sans l’autorisation visée à l’article 4.2 de la présente loi ». Ces différentes dispositions répressives, Gérard et les autres vendeurs d’œuvres piratées rencontrés en sont bien conscients. Mais ils sont bien décidés à prendre le risque quoique cela coûte.

 Gérard envisage d’ailleurs de se lancer à fond après ses études dans ce business qu’il juge bien rentable, mais paraît prudent. Pour lui, les risques d’emprisonnement sont minimes si l’on ne s’adonne qu’à la commercialisation des œuvres artistiques venant de l’étranger. « Moi je ne vends pas les œuvres des artistes béninois. Je sais bien que la loi est très dure par rapport à ce point », confesse-t-il.

Quand le phénomène émousse les ardeurs de créativité

Du fait de l’effet dévastateur de la piraterie qu’elle ne cesse de subir, la compagnie de cinéma et du théâtre la plus prisée du Bénin connue sous le nom de Sèmako Wobaho (Prix d’or du Bureau Béninois du droit d’auteur en 2010 avec plus de 45.000 Cd vendus pour la seule production) ne crée plus à son rythme habituel.

Ses productions de films mensuelles n’existent pratiquement plus. Eléphant Mouillé, le chargé à la promotion de la compagnie rencontré pointe un doigt accusateur sur les structures officielles chargées de lutter contre le phénomène. Pour lui, le Bureau Béninois du Droit d’auteur et des droits voisins (Bubedra) tout comme le Conseil béninois des auteurs, compositeurs, chanteurs et éditeurs de musique (Cbaccem, la toute première structure privée de lutte contre la piraterie autorisée en 2010) n’ont pas encore trouvé la stratégie nécessaire pour enrayer le phénomène.

Il est bien soutenu par Serge Yéou, réalisateur béninois, Président de la compagnie « Les Aziza plus du Bénin » qui tout comme son compère Eléphant Mouillé ne note aucun changement qualitatif dans la lutte anti-piraterie. Au contraire, il remarque la progression ascendante des pirates dans le pays, ce qui accentue le découragement des créateurs. « Vous allez constater que depuis le début de l’année 2011, il n’y a pas eu beaucoup de productions simplement parce que les gens sont découragés », a fait observer Serge Yéou.

 Dans le même registre, Virus, le jeune humoriste béninois assimile le phénomène au Sida que craignent les artistes et reste bien septique pour son endiguement total de la société si les mentalités demeurent telles. « La piraterie ne finira jamais d’évoluer si les mentalités ne changent pas », affirme-t-il.

Des stratégies de lutte toujours inefficaces

Selon les chiffres officiels recueillis du Bureau béninois du droit d’auteur, au cours de l’année 2011, plus de 30.000 Cd piratés ont été saisis. Mais aucun des mis en cause n’a été poursuivi. La procédure de la transaction proposée par l’article 91 de la loi N°2005-30 a été la plus usitée par les autorités en charge de la lutte contre la piraterie.

Pour ses deux descentes sur le terrain, la brigade anti-piraterie du Conseil béninois des auteurs, compositeurs, chanteurs et éditeurs de musique évalue ses saisies à plus de 5000 Cd piratés. Ajoutés donc à ceux arraisonnés au cours de l’année 2011 par le Bubedra, on est approximativement à 35.000 Cd saisis. C’est donc le fruit des efforts fournis à la fois par la Commission nationale de lutte contre la piraterie (Cnlp, structure spécialisée du Bubedra) et la brigade anti-piraterie du Cbaccem. Tout comme au niveau du Bubedra, le Cbaccem a également privilégié la procédure de transaction.

 Aux dires de Bobo D, Président du Cbaccem, chacun des 6 pirates arrêtés au cours de l’opération anti-piraterie menée il y a quelques jours sur le terrain, a versé à sa structure, une somme de 50.000 Francs Cfa contre sa liberté. Au total, le Cbaccem a pu donc récupérer 300.000Fcfa, lesquels sous ont été utilisés pour désintéresser les Policiers qui les appuyés dans l’opération et apurer les frais de communication. Au niveau du Bubedra, les fonds issus de la transaction entre pirates et anti-pirates servent au même but, à quelques nuances près.

Selon les explications du Directeur Général du Bubudra, Arsène Thierry Codo, lorsqu’après l’apurement des dépenses, il reste encore quelques sous, ils sont versés dans la masse commune partageable aux artistes. Mais ces différentes stratégies ne semblent pas inquiéter les pirates. Et le Dg/Bubedra en est véritablement conscient. Mais il assimile cette inefficacité au manque de moyens pour rendre âprement opérationnelles les différentes structures départementales de la Cnlp. Le budget alloué à la Commission nationale de lutte contre la piraterie il y a deux ans était de 30.000.000Fcfa.

 Mais il passe aujourd’hui à 20.000.000Fcfa, ce qui paraît bien paradoxal aux yeux du Dg qui ne se décourage pas pour autant dans les stratégies à développer pour traquer les pirates. Et parlant de stratégies, le Cbaccem propose le rabaissement des coûts des œuvres artistiques, lesquels sont à son avis largement au dessus des bourses du Béninois. Il propose en effet que les Cd, toute catégorie confondue passe désormais à 500 ou au plus à 700Fcfa pour faire échec à la vente des Cd piratés qui se vendent également dans la même fourchette d’argent.

 Mais c’est un avis que rejettent catégoriquement les acteurs comme Eléphant Mouillé et Serge Yéou qui estiment que la fixation de 2000 et 1500 Fcfa actuellement observée est largement au dessous des investissements opérés pour réaliser un Cd audio, vidéo ou un film. Le Dg/Bubedra s’inscrit également dans cette logique et pense plutôt qu’il faudra bien redynamiser les structures de lutte contre le phénomène en mettant plus de moyens au profit de la Cnlp en vue de renforcer ses structures de bases que sont les brigades départementales.

Mais, de toute évidence, en attendant la concrétisation de ces différentes propositions, le phénomène sévit et continue d’allonger la liste de ses victimes désormais atteintes par le découragement et le désintérêt.

Donatien GBAGUIDI

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