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Le triomphe de la vérité

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Entretien avec Togbé Cyriaque Agonkpahoun, spécialiste en aménagement du territoire et développement régional:« L’aménagement du territoire est une politique sensible qui doit préoccuper les plus hautes autorités »


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Après plusieurs sorties médiatiques critiques sur l’Etat de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et de la politique de la ville au Bénin, Togbé Cyriaque Agonkpahoun fait désormais une proposition. Sur le constat que les dysfonctionnements et les insuffisances observés sont le résultat d’une désorganisation des maillons de la chaîne, il appelle à une unité d’actions. Il parle d’une table ronde pour se dire des vérités même les plus difficiles à dire et à supporter et repartir sur de nouvelles bases. Comme à son habitude, il ne manque pas de donner les couleurs.

Togbé Cyriaque Agonkpahoun, spécialiste en aménagement du territoire et développement régional, Consultant en montage d’opérations en aménagement, urbanisme et immobilier (MOAUI)

L’Evénement Précis:

Lors de l’une de vos sorties médiatiques, vous aviez regretté que les différents spécialistes intervenant sur le territoire travaillent chacun dans son enclos. Vous suggérez une unité d’actions. Pourquoi, faudra-t-il travailler ensemble ? En quoi cela est nécessaire ?

Togbé Cyriaque Agonkpahoun: Vous connaissez certainement les avantages d’une synergie d’actions surtout quand il s’agit des métiers techniques. Vous connaissez aussi les avantages du travail en groupe. Cela a plusieurs avantages. Cela permet d’abord d’harmoniser les points de vue. C’est en fait un carrefour d’expériences, du donner et du recevoir.

 Cela permet aux anciens de s’informer des nouveautés qu’il y a dans le secteur, et aux jeunes d’avoir un retour d’expériences. C’est pourquoi quand le monde change et que la technique évolue, il est nécessaire que les acteurs qui sont dans une même corporation ou des corporations apparentées se voient pour échanger et discuter. C’est un système qui n’a que des avantages à mon avis.

Vous avez fait part jusque-là d’un certain nombre d’insuffisances dans le secteur de l’urbanisme, de l’aménagement du territoire et de la politique de la ville. Est-ce que ce n’est par rapport à tout cela que vous trouvez que vous devez vous rencontrer afin que chacun sache ce qu’il faut faire ?

Le drame est qu’on reporte à demain ce qu’on peut faire aujourd’hui pour mettre de l’ordre sur le territoire et le préserver afin de prévenir les effets néfastes du changement climatique. L’unité d’actions permet aux acteurs opérant dans le privé, à ceux travaillant dans le public de se retrouver, de nouer une sorte de partenariat d’abord et de recadrer les choses.

 C’est de mieux s’entendre pour regarder dans la même direction parce qu’avec les métiers du territoire, on est obligé de définir ensemble les actions à mener et la façon de le faire. Nul ne sera alors surpris de ce que l’autre fait sur le territoire. Nous aurions au moins lancé les grandes lignes ensemble.

Sous quelle forme jugez-vous qu’on puisse organiser cette rencontre ? Un séminaire-atelier par exemple ?

Pas un atelier parce qu’il sera indispensable qu’il y ait libre débat. Une opportunité que ne va pas donner un séminaire-atelier. Il faut d’abord une table ronde avant que cela ne débouche sur des ateliers où il y aura des thématiques à développer. J’insiste qu’il faut une table ronde avec libre débat pour faire un diagnostic national et identifier les problèmes et les succès depuis les indépendances. Cela va déboucher sur des solutions durables. Il faut partir de cet état des lieux pour poser des jalons. Définir donc les bases et lancer de nouvelles perspectives.

S’il faut organiser cette table ronde, c’est du ressort de l’Etat, mais je crains que cet Etat, normalement représenté par les ministères en charge de l’urbanisme, de l’habitat et de l’aménagement du territoire, ne soit réellement pas disposé à le faire vu que la volonté politique fait souvent défaut et que les problèmes sociaux priment souvent sur le reste…

Je ne vais jamais cesser d’expliquer que la question de l’aménagement du territoire est une politique sensible qui doit et devra toujours préoccuper les autorités au plus haut niveau. Je suis satisfait de l’organigramme gouvernemental du premier quinquennat du président Boni Yayi. Je suis doublement satisfait de son organigramme d’aujourd’hui. Si les ministres concernés ne répondent pas, nous allons directement remonter vers le premier ministre qui devra se préoccuper de la situation. Etant donné qu’il est un homme de méthode, il ne va pas traîner à agir.

Vos propositions semblent être intéressantes, mais elles pourraient déranger des intérêts. L’absence d’une synergie favorise quand même un fonds de commerce pour certains…

Je l’avais dit récemment à certains journalistes, en abordant les ratées des programmes immobiliers au Bénin, qu’il y a un lobby autour de chaque chose. Que ce soit positif ou négatif, il y a toujours un lobby. Je suis conscient que ce que je suggère va déranger des intérêts. Le fait que nous vivons sur un territoire déréglé arrange certains.

C’est à nous de relever le défi en réglant le territoire. La volonté politique peut détruire tous les lobbies et peut également renforcer les lobbies. Nous allons prier la volonté politique de détruire les lobbies négatifs pour qu’on évolue. Il faut préserver surtout l’intérêt supérieur de na nation.

Les questions majeures à discuter ?

La sécurisation foncière par exemple. Les lotissements aussi. Au lieu que ces lotissements permettent à nos localités de se développer,ça les plongent davantage. Il y a ce qu’on appelle l’étalement urbain qui est un danger pour la gestion de l’espace. A cette table ronde nous allons aborder tout cela. L’objectif à court terme serait de rendre obligatoire les permis de construire. Avant de construire même un poulailler au sol, une autorisation est indispensable.

 On va réexpliquer le concept de permis de construire. Tel que nous le prenons, ce n’est pas ça. Le permis de construire est une activité plus simple que ce que nous faisons. Il y aujourd’hui plus de sept cent dossiers qui traînent à la mairie de Cotonou. Cela veut dire qu’on a des difficultés à traiter ces dossiers-là.

Parlons de ceux qui pourraient animer cette table ronde. Les techniciens, quels seront leurs rôles ?

Ce sont les architectes qui dessinent les plans des édifices. Ils ont appris à penser la construction suivant les règles de l’art. Nous avons donc besoin d’eux si nous voulons réellement relever le niveau de nos villes, imprimer une identité à chaque localité et leur donner une beauté. Tel qu’ils conçoivent les plans des édifices, ils peuvent repenser et redessiner une ville.

C’est des gens qui sont capables de prendre un quartier et même toute une ville qu’ils traitent comme si c’était un bâtiment. Urbanistes et aménagistes vont travailler sur les règles d’urbanisme adaptées aux réalités actuelles. Leurs apports concerneront la relecture des lois, le droit de l’urbanisme, de l’immobilier, de l’environnement, la sociologie et la planification urbaine. Avec urbanistes et aménagistes, nous allons trouver les moyens de veiller au respect des règles sans faille afin que nous ne soyons plus sur un territoire déréglé et écrire les vraies politiques de la ville. A propos des géomètres topographes, on ne peut pas régler le foncier et le lotissement sans eux.

C’est pourquoi avec eux nous allons pouvoir arrêter tous les lotissements en cours et redéfinir ce que c’est qu’un lotissement. Nous allons nous entendre pour déterminer les genres de lotissements qui vont conduire nos localités au développement. Au regard de ce qui se passe maintenant, nous sommes encore très loin de cet objectif. Nous devons nous épargnez des lotissements qui sont sources de polémiques, de conflits et de spéculation foncière.

Et les ingénieurs de génie civil et les spécialistes de l’eau ?

Je veux m’intéresser aux ingénieurs du génie rural. C’est surtout eux qui vont nous aider à organiser le monde rural. Les ingénieurs du génie civil doivent intervenir au niveau de la construction que ce soit en milieu urbain ou rural afin de participer à l’organisation du territoire sans créer des dépenses énormes aux populations ou aux personnes à revenus moyens ou faibles.

Ils vont aider à penser à des conceptions à moindre coût. Les ingénieurs de l’eau, c’est pour participer à la gestion de l’eau de façon globale. L’eau pourrait devenir une denrée rare. Il faudra donc organiser le territoire de manière à gérer l’eau de façon rationnelle. Il faut aller vers le management de l’eau.

Que viendront faire les intellectuels comme les juristes, les géographes, les sociologues ?

Ils ont fait des recherches et des études dans différents domaines associés à ce que nous voulons faire. C’est donc normal que leur présence soit nécessaire. Prenons les géographes, ils peuvent accompagner les aménagistes, les spécialistes de l’eau, etc. On ne peut rien aborder concernant l’homme sans faire recours à la sociologie.

Ce qui explique la présence des sociologues. Les règles d’urbanisme, d’aménagement et de construction ne peuvent pas être rédigées et appliquées sans les juristes. La mise en œuvre de certaines mesures pourrait amener l’Etat à faire recours à des déclarations d’utilité publique (Dup). L’intervention des juristes serait nécessaire.

A propos des centres de décision, l’Etat central et les collectivités locales…

L’Etat est au cœur parce que c’est à lui de faire adopter et de promulguer. La particularité de cette table ronde, si on m’associe, est que le document qui en sera issu ne sera pas pour les tiroirs. On ne va pas se fatiguer pour rien. Il faudra taper à toutes portes et insister auprès des ministres.

Même si l’organisation va coûter aux contribuables deux millions, c’est important pour que cela débouche sur du concret. Pour les élus locaux, c’est eux qui doivent vouloir que leurs territoires soient réglés de manières où il fait bon vivre pour chacun et pour tous. A cette table ronde, ils vont comprendre les avantages d’avoir un territoire réglé et d’être nourri d’ambitions quand on est élu local. Quand ils comprendront cela, ce sont eux qui vont mettre la pression et contraindre à notre place l’Etat central à accélérer les réformes

Vous avez dans votre viseur un certain nombre de ministères quand vous parlez de table ronde…

Ils sont tous impliqués. Nous ne pouvons pas intervenir sur un territoire sans le délégué à l’aménagement du territoire et son ministère. Pas de relecture des règles d’urbanisme sans le ministère de l’urbanisme qui en est d’ailleurs le maître d’ouvrage. Rien non plus sans le ministre du plan.

Que suggérez-vous à chacun de ces ministres ?

Au Ministre de l’urbanisme, je l’invite à prendre connaissance d’un certain nombre de sujets dont j’avais débattu avec les journalistes courant décembre 2010 dans plusieurs quotidiens comme Fraternité, L’événement précis et autres. Cela résume les dangers que sont les lotissements pour nos localités. Il doit donc arrêter tous les processus de lotissements en cours.

Ça va être le début. Ensuite il va voir ensemble avec le chef de l’Etat comment faire de la politique de la ville une priorité comme je l’avais dit au début du mois de mai dernier. Il faudra alors identifier quelques quartiers pilotes que nous pourrions baptiser quartier politique de ville et montrer qu’à partir de la politique de la ville, on peut trouver des solutions aux problèmes de sécurité, de pauvreté. Je souhaite vivement que la table ronde soit sous son autorité.

Dans le cadre des inondations, il s’agit de voir avec les organismes internationaux la construction des logements tiroir. Car l’érection des villes à tentes est non seulement incommode, mais aussi nuisible pour la santé. Dans le même temps il devra, avec le ministre de l’intérieur, déclarer inconstructibles ces zones perpétuellement inondées.

Au regard des besoins, les ministres en charge de l’éducation vont réfléchir à intégrer les questions immobilières, la vulgarisation des règles d’urbanisme dans les programmes de formations en génie civil des lycées, collèges et écoles d’enseignement technique. Déjà le problème de logement se pose dans notre pays.

Il faut donc que les promoteurs immobiliers soient assistés par des agents immobiliers assermentés. Pour le ministre en charge de l’aménagement du territoire, il faut travailler à revoir le rôle de la délégation à l’aménagement du territoire. Elle ne peut pas être efficace sans avoir des points focaux et des cellules de veille de mise en œuvre de sa politique d’aménagement du territoire dans tous les départements et dans tous les ministères. A ce titre, il doit régulièrement organiser des séances d’informations sur les enjeux du développement durable. Cela permet d’évaluer au quotidien et rendre compte par semestre au premier responsable.

La délégation à l’aménagement du territoire doit aussi s’approprier à court terme l’autorité de toute intervention sur le territoire. Mon rêve est qu’à la fin du mandat de Boni Yayi, on constate qu’il y a un territoire mieux organisé. Je crois que le premier ministre saura amener chacun à faire son devoir pour qu’on nourrisse le rêve d’un Bénin reconstruit qui met fin à l’existence d’un territoire déréglé.

Si je comprends bien, par le ton que vous adoptez, cette table ronde doit être le rendez-vous des vérités les plus amères, même celles qui peuvent blesser.

Normalement ça va être à l’image de la conférence nationale. C’est l’occasion de creuser l’abcès, de faire une chirurgie et de finir avec les maux qui dérangent. Il faut changer d’habitude et éviter le gaspillage de l’argent et de l’espace. Chacun doit se sentir responsable. C’est l’heure de la responsabilisation.

C’est beau tout ce que vous dites, mais ce n’est pas sûr qu’on vous entende au plus haut niveau de l’Etat si vous n’avez pas une casquette politique qui leur est favorable ?

Le chef de l’Etat, à mon avis, n’adopte pas cette méthode. Son dernier gouvernement ne reflète pas cela. Il n’y a pas que des politiques. Il est quand même temps qu’on dissocie la politique de l’objectivité et de la technique. Il faut désormais qu’au-delà de la politique, on écrive les politiques sectorielles.

Au cas où des lecteurs voudront participer au débat sur l’organisation de cette table ronde, comment vous joindre ?

Pour l’email c’est togbe_agonkpanhoun@yahoo.fr et le téléphone c’est le 95 06 41 44.

Propos recueillis par

A. P. Virgil HOUESSOU

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