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Le triomphe de la vérité

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Roland Lumumba, fils du leader nationaliste et ancien 1er ministre congolais, Patrice Emery Lumumba: « La jeunesse africaine doit savoir que Patrice Lumumba est mort pour elle»


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Présent à Cotonou avec sa sœur Juliana dans le cadre du Symposium international sur le cinquantenaire des indépendances africaines tenu du 16 au 20 novembre 2010 , le dernier fils du célèbre leader nationaliste et ancien premier ministre du Congo, Patrice Emery Lumumba s’est prêté aux questions de votre organe. Dans cet entretien, Roland Lumumba parle de son père, et de son combat pour l’indépendance de son pays et la dignité de l’homme noir. Architecte de formation et consultant, le dernier des enfants de cet héros des indépendances  parle des actions que mènent la « Fondation Patrice Emery Lumumba, Démocratie et Développement » qu’il préside et du procès que sa famille vient d’intenter contre la Belgique pour son implication dans l’assassinat du héros de l’indépendance congolaise.

 L’Evénement Précis: Cinquante ans après son assassinat, quelle image doit garder la génération présente de Patrice Lumumba ?

 Roland Lumumba : L’image que je veux qu’on retienne de Patrice Emery Lumumba, c’est l’image d’un homme libre, un homme qui est allé jusqu’au bout de son engagement. Rien ne l’empêchait de se soustraire de ce destin mais il n’a pas voulu. Il savait qu’il allait mourir et il le disait à son entourage. Mais il n’a pas essayé de fuir. Il a peut-être voulu épargner ses enfants mais lui, il savait qu’il se battait pour une cause juste. C’était comme un messager. Il avait un message à transmettre aux générations futures  et ce message, c’est le travail et le travail bien fait, l’amour de la patrie, le dévouement, la détermination quand la cause est juste. Donc, c’est pour une cause juste qu’il l’a fait. Et c’est ce que je retiens de lui, un homme juste, intègre et qui aimait beaucoup son continent.

 Avez-vous l’impression que le flambeau de son combat a été bien repris et entretenu ?

Au plan politique, je dirai que le flambeau de son combat n’a pas été bien repris. Mais, lui, il ne l’a pas fait pour un positionnement politique mais plutôt pour les populations. Et contrairement à des années en arrière, il y a eu des avancées. Si je considère par exemple la République démocratique du Congo (Rdc), à l’indépendance on avait à peine une dizaine d’universitaires. Mais aujourd’hui, avoir la Licence permet à peine d’être gardien parce qu’il y a beaucoup de personnes qui en disposent. Et toutes ces avancées, c’est grâce à l’indépendance, grâce aux hommes et aux femmes qui ont combattu pour qu’on soit indépendant. Et de cette indépendance, il y a eu l’enseignement et d’autres secteurs. Mais s’il y a d’autres choses qui ne se sont pas déroulées comme on l’aurait souhaité, il y a quand même du positif. Il y a beaucoup d’autres secteurs qui ont obtenu des résultats positifs, Et si on peut considérer que le bilan total est négatif, il faut aussi noter qu’il y a eu du positif.

 Aujourd’hui, quelle place occupe Patrice Lumumba dans le cœur du peuple congolais pour lequel il s’est battu ?

Le peuple congolais garde une image assez positive de quelqu’un qui a lutté pour son indépendance, qui a accepté de mourir pour cela. Mais peut-être que la jeunesse congolaise ne connaît pas beaucoup de choses sur lui parce que le programme de l’enseignement est ce qu’il est. Je peux même dire qu’il est mauvais. Il met plus en exergue les héros d’ailleurs, les héros de ceux qui nous ont colonisés, les mythologies gréco-romaines etc. il y a plein de congolais qui ne connaissent pas Samory Touré, il y a pleins de congolais qui ne connaissent pas la reine Pokou y compris leurs héros congolais tels que Bakandja…donc, il y a un problème de réécriture de l’histoire, il y a un problème d’éducation qu’il faudra combler impérativement pour qu’on ne vive plus ce qu’on vit aujourd’hui au niveau de l’éducation de base dans notre pays. Et c’est valable pour les autres pays africains aussi.

 Quelles sont les missions assignées à la Fondation Patrice Lumumba que vous dirigez ?

La Fondation Patrice Emery Lumumba est une fondation qui a été créée en 1992 mais elle a véritablement commencé ses actions en 2002. C’est pour la promotion de Lumumba, de ses idées de paix, de justice et de panafricanisme. Et on a essayé de l’orienter vers le développement, vers la jeunesse. Il faut toujours continuer à lui dire que Lumumba, c’était un jeune qui a travaillé comme tous les jeunes et qui est mort pour les jeunes. Il est mort à trente six (36) ans, ne l’oublions pas. Et la proportion de la jeunesse à l’époque était plus de 65% de la population congolaise ayant moins de trente cinq (35) ans. Et ce pourcentage reste valable cinquante (50) ans après. Donc, on fait des projets d’agriculture, de promotion de jeunes artistes congolais et africains, organisons des manifestations et autres, nous avons mis en place une polyclinique pour aider les plus démunis et notre grand projet maintenant, c’est la création de la Banque Lumumba pour la femme en vue de l’octroi de microcrédits. On cherche à créer une banque mais destinée à la femme congolaise et africaine. Cette banque est destinée à la femme parce que c’est la partie dynamique de la société congolaise et africaine, elle est meilleure gestionnaire. Donc, on a voulu l’encadrer dans ce qu’elle fait et puisqu’elle a des difficultés pour subvenir à ses besoins, on essaie de l’accompagner. Ce sont là quelques unes des actions de la Fondation Patrice Emery Lumumba.

 Vous avez déclenché il y a peu une procédure contre la Belgique pour son implication dans l’assassinat de votre père. Quelle était votre intention cinquante ans après les faits et où en est ce dossier ?

Notre intention, c’était de connaître la vérité, de connaître la vérité en tant qu’enfants biologiques de Patrice Emery Lumumba, de connaître la vérité en tant que faisant partie des millions d’enfants spirituels de Patrice Lumumba. Lumumba nous appartient mais il appartient à tous. On a droit à la vérité. Il y a des gens qui ont avoué qu’ils ont contribué à l’assassinat d’un premier ministre élu le lendemain de notre accession à l’indépendance. Et malgré cela, on le tue et personne ne demande le pourquoi, le comment…Pour des raisons d’histoire, pour des raisons de pédagogie, on a le droit de savoir ça. En tant que béninois, si vous pensez qu’il est l’une des personnalités noires qui a contribué à la valorisation de l’homme africain, vous avez le droit de savoir comment, pourquoi…cet homme est mort.

En ce qui concerne le procès, les avocats sont à pied d’œuvre en attendant la fin des vacances judiciaires en Belgique. Et d’ici là, vous serez tous tenus au courant de ce procès de mémoire, de la dignité.

 Ne pensez-vous pas que votre implication dans l’arène politique congolaise aurait permis de mieux préserver l’héritage politique de Lumumba ?

Je ne sais pas trop mais on essaie de faire tout ce qui est en notre pouvoir. J’ai été député pendant une dizaine d’années, ma sœur a été ministre pendant cinq (05) ans, mon frère a été député pendant trois (03) ans et chef de parti politique…mais il n’y a pas qu’être dans l’équipe gouvernemental ou être à la députation pour dire qu’on s’intéresse à la politique. La politique est partout. Je m’occupe de la Fondation et si je le fais convenablement, j’aurai fait ce que Lumumba demandait à savoir que chacun fasse bien son travail là où il se trouve. Mais, je ne me soustrais pas à mes responsabilités dans le pays, il y a un temps pour tout et dans les échéances futures, on va s’impliquer plus activement dans le processus.

 On sait que les relations entre le président Joseph Kasavubu et votre père ont été tendues. Quelles sont vos relations avec les enfants de Kasavubu aujourd’hui ?

Ce sont des relations d’amitié. On considère que les enfants de Kasavubu ne sont pas comptables politiques de l’œuvre de leur père. Donc, s’il y a eu des différends politiques entre Joseph Kasavubu et Lumumba Patrice, ça reste un différend politique. Et lorsque nous rencontrons la fille de Kasavubu ici au Bénin, on est à l’étranger et nous sommes des gens de même pays qui se connaissent avant de se croiser ici. Donc, on peut avoir la courtoisie d’échanger. On peut ne pas être dans le même parti et avoir un différend d’idées mais il faut que nous acteurs africains, qu’on grandisse et qu’on fasse la différence entre un ennemi politique et un adversaire politique pour entretenir la courtoisie la plus élémentaire.

 Quel est votre message à l’endroit de la jeunesse béninoise au sujet du combat de votre père?

Je souhaite que la population béninoise et surtout la jeunesse retienne de mon père, Patrice Emery Lumumba le sens de son combat. Quand il parlait du Congo, comme Nkrumah qui avait la même philosophie que lui et qui disait que l’indépendance du Ghana n’a aucun sens tant qu’il y a une partie sur le continent africain, c’est dans le même sens que vous, béninois, congolais, togolais, ghanéen, togolais, deviez retenir l’exemple Lumumba. Il faut retenir l’exemple de quelqu’un qui était dans des conditions assez aisées à son époque où il s’est battu pour arriver à avoir un statut assez commode, mais ça ne l’a pas empêché de vouloir le bien-être de ceux qui sont en manque, les sans-voix, les sans-abri, ceux qui n’arrivent pas à élever leurs enfants comme des êtres chers…il a combattu pour ceux-là ; il n’a pas combattu pour sa femme et ses enfants comme ce qui se passe aujourd’hui du nord au sud, de l’est à l’ouest du continent où il y a des dirigeants qui se battent d’abord pour leur famille puis pour leur église, leur province…non ! Il nous a montré l’exemple qu’il faut qu’on se batte pour constituer des nations pour qu’à la fin, on devienne une seule grande nation qui sera la nation africaine. C’est ça la leçon pour demain.

 Entretien réalisé par Jean-Claude DOSSA

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