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Le triomphe de la vérité

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Prof. Léon Bani Bio Bigou, ancien Vice-président de l’Assemblée nationale: La consolidation de l’unité nationale n’est pas encore effective »


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50 ans après l’indépendance du Bénin, l’ancien député à l’Assemblé nationale, Léon Bani Bio Bigou affirme que le peuple béninois a encore du chemin à faire pour une réelle unité nationale.

 L’Evénement Précis : Après 50 ans d’indépendances, peut-on affirmer que le Bénin forme une nation ?

Prof. Léon Bani Bio Bigou : Je dirai que 50 ans après, le Bénin est en train de construire son unité nationale.  Simplement parce que la construction d’unité nationale prend du temps.

Alors pourquoi cette évolution en dents de scie?

Lorsque je prends les 50 ans, je les divise en un certain nombre de phases. Je prends par exemple la phase de 1960-1972. Excusez-moi le terme car je suis direct. Elle a été une phase de gâchis au niveau politique. Imaginez qu’en douze ans d’indépendance, nous avons enregistré huit coups d’Etat dont sept coups d’Etat militaires. Cela veut dire qu’il y a eu de l’instabilité politique. Et lorsqu’il y a instabilité à tous les niveaux,  il y aura problème. Voilà pourquoi on n’a pas avancé. Et lorsque j’examine ces douze (12) années d’indépendances, de même que la manière dont les gens se sont combattus, on peut se demander  pourquoi ils se sont combattus, par rapport à quoi ils se sont combattus. Personnellement, je peux me tromper, mais si c’est le cas je m’en excuse.

 Pourquoi les hommes politiques se combattaient-ils ?

Les gens se sont combattus non pas à cause des projets de société mais autour des problèmes de personnes, de régions. Ce qui est dommage. Et c’est une sorte de gâchis car cela  ne nous a pas permis d’avancer. Et bien attendu ces premières frictions pouvaient se comprendre mais pas jusqu’à ce point  puisque le Bénin est constitué d’un certain nombre de sociétés qui n’avaient pas eu nécessairement dans l’histoire à mener des rapports de fraternité.  Mais à partir du moment où nous avons subi la colonisation où le colon est venu détruire nos Etats traditionnels pour créer à la place une nouvelle entité que nous appelons la République, il y a eu des pas qui ont été faits, et on devait surmonter certains obstacles pour cette fois construire une nation unie mais à partir d’éléments nouveaux. Cela veut dire que construire l’unité nationale ne signifie pas ignorer les différences irréductibles. Je crois que c’est ce que les gens n’arrivaient pas à comprendre et on en est  arrivé là. Maintenant quand je prends la période de 1972 à 1975 où on a connu un régime militaire qu’on appelait le GMR, il y  avait la discipline et l’ordre. Mais on a vu aussi comment  les Béninois se sont comportés. On a vu même qu’au niveau des finances, les banques étaient bien fournies. Les gens étaient bien. A la période du marxisme-léninisme avec un parti unique parce qu’on a compris à tort ou à raison que c’est la multiplication des partis  qui était à la base de  ces désordres, donc on met fin aux partis politiques pour en créer un seul qui est le Parti de la Révolution Populaire du Bénin (PRPB), un parti Etat. A ce niveau là, c’est l’Etat qui avait tout donc c’est lui qui finançait tout. Donc on peut quand même dire qu’on a eu une stabilité politique. Mais cela a eu des conséquences au niveau social, économique tout simplement parce qu’on a vu un certain nombre de réalisations, en termes d’infrastructures socio sanitaires, routières, scolaires… En somme, vous voyez quand on prend les 50 ans, il y a eu des avancées, il y a eu des acquis et cela il faut le reconnaître. Il faut comprendre que les anciens présidents Ahomadégbé, Apithy, Maga ne pouvaient pas ne pas commettre des erreurs car la main du colon était là. Maintenant les générations qui  ont succédé devaient tirer leçon d’eux pour mieux faire et ainsi de suite. 

Quel est aujourd’hui l’impact de la démocratie  électorale sur l’unité nationale ?

Vous savez, le peuple a voulu en 1990 qu’il y ait le multipartisme et notre loi a bel et bien dit que la vie politique nationale  est animée par des partis politiques. On a créé des textes pour mettre les hommes politiques à l’aise. Le premier texte est la charte des partis politiques, le second texte c’est la loi de l’opposition. C’est pour que les gens se sentent à l’aise. Mais là aussi il y a des insuffisances et je dois critiquer. Combien de gens connaissent le contenu de cette charte? Et combien la respectent ? Malgré ça on est à 200 partis politiques pour au moins une centaine qui sont en règle vis-à-vis de la charte. Qui punit ? Donc en principe si vous avez une loi, il faut quelqu’un pour voir comment ça fonctionne. Donc ceux qui ne sont pas en règle vis-à-vis de la loi ne devraient pas exister. Parlant de la loi de l’opposition, qui aujourd’hui a eu le courage de se déclarer de ce camp ? Donc ça veut dire que c’est le serpent qui se mord la queue. On veut une chose et son contraire. De ce point de vue, il y a aussi recul. Il y a recul par rapport à la manière dont les élections se font. Je regrette qu’au niveau du PRPB, tout n’était pas négatif. Je ne l’ai pas fait. Mais en tant qu’acteur politique et intellectuel, j’ai le devoir de reconnaître quand quelque chose est bon. La manière dont les gens procédaient aux élections me convenait. Mais le système a péché à un moment donné puisque pour élire quelqu’un, il faut tenir compte de sa moralité. Et ceux qui sont les mieux placés pour juger cela, ce sont les populations avec qui on vit au quotidien. On voit dans les papiers où on demande d’être d’une bonne moralité. Quel est l’appareil qui peut mesurer le fait. Le meilleur appareil c’est les populations avec lesquelles on vit au quotidien. Voilà pourquoi à ce niveau le PRPB est à saluer.  L’Assemblée nationale révolutionnaire (ANR) peut être choisie par la base en remontant. Mais là où ça a péché ils ont arrêté le système et quand ça dépasse le niveau de la commune à l’époque, au niveau du département ça échappe aux populations  et le système a péché. Et là sans se faire réélire à la base, les gens se font réélire tout le temps au sommet. C’est ce qui a foutu en l’air ce système qui était bon si l’on avait permis d’aboutir jusqu’au niveau du sommet. Vous avez vu comment se fait la création des  partis parce qu’on a un projet de société. Est-ce qu’en réalité il y a 200 projets de société différents pour conduire ce pays d’environs 8 millions d’habitants ? Donc les gens créent les partis car pour certains c’est une ligne droite pour s’enrichir au plus tôt. Alors que le parti est d’abord dans l’esprit de pouvoir lutter, former les citoyens  parce qu’il faut prendre le pouvoir et gérer. Si on demande quelle est votre vision aujourd’hui, qu’est-ce qu’on pourrait dire ? Quel était le type de citoyen que les différents régimes qui se sont succédé voulaient  former ?

Est-ce que les tensions politiques ne sont  pas porteuses de division nationale ?

Oui les conséquences directes sont ceux dont nous parlons là. C’est la division jusqu’au sein de la cellule familiale puisque votre frère est candidat de même que vous. Et vous avez des idées, personne ne vous écoute. L’autre a de l’argent et sans idées. Il a l’argent et dès qu’il vient, il en distribue seulement. Et c’est lui le bon candidat. Comme conséquence directe, cela a créé non seulement la division et tombe sur le coup de la mafia parce que pour avoir les sous, sans avoir fait grande chose, c’est le domaine de la mafia. Et si c’est des gens qui sont dans le domaine de la mafia qui font des choses qui doivent se positionner à des niveaux donnés or on a que deux niveaux de décisions : le Gouvernement et l’Assemblée nationale. Si c’est eux qui font de pression sur le gouvernement, ça développe la mafia. Voilà pourquoi nous devons repenser notre système électoral,  la manière dont on choisit les représentants du peuple sinon c’est un grave danger qui guette le pays. C’est mon point de vue.

Il y a quelques mois des propos ouvertement régionalistes ont été tenus à l’Assemblée nationale. N’est-ce pas là l’expression d’une exacerbation des tensions régionalistes ?

Je salue ceux qui l’on dit car ils ont dit ce que les autres pensent tout bas. Ils ont dit tout haut ce qui commande le comportement de certains insoupçonnés. Pour cela,  je les remercie car ils ont diagnostiqué le mal. Et à partie de ce moment on peut lui trouver de solutions. En le disant ce que je regrette un peu est qu’il faut arriver à maîtriser les phénomènes parce que en fait quand on dit régionaliste jusqu’à un passé ressent lorsqu’on parle de régionaliste, on l’attribue à une région donnée. On indexe la partie nord du pays. Mais je peux dire aujourd’hui que le régionalisme n’est pas originaire du nord. Le régionalisme tel que ça se dit n’a pas été institué par les gens du nord. Ceux qui le disent se trompent sur l’origine du régionalisme et du sectarisme. Le régionalisme en question remonte aux années 1945. Et il a commencé avec les présidents Apithy et Ahomadégbé. Est-ce qu’ils ne sont pas du sud ? Voilà pourquoi je dis que le virus même le plus dangereux est le sectarisme. C’est le rejet et il faut le combattre avec la dernière rigueur. Est-ce qu’en 1945 lorsqu’il fallait un seul député pour la colonie du Dahomey et du Togo et où il y a un seul siège pour un seul député, c’est Apithy seul qu’on a eu à prendre à l’unanimité ? Est-ce que quelqu’un peut dire aujourd’hui preuve à l’appui que quelqu’un s’est opposé au choix d’Apithy ? S’il y en a, j’aimerais avancer mes connaissances dans ce domaine et voir les preuves. Donc de ce point de vue, quand on a refusé à Ahomadégbé de se présenter pour les élections territoriales à Porto-Novo c’était simplement parce qu’ils ont estimé qu’il n’est pas goun. Voilà le sectarisme, le rejet. Alors si c’était quelqu’un du nord, cela se comprendrait. Mais regardez la distance qui sépare Abomey  à  Porto-Novo. C’est les mêmes familles, premier élément. Deuxième élément Apithy, sortant pour la deuxième mandature en 1951 ou 1952. On devait le positionner tête de liste pour le second mandat mais c’est encore entre les gens du sud qu’on a dit niet qu’on préfère le président Zinsou et mettre Apithy  second sur la liste, c’est ainsi que lui-même a refusé pour demander avec l’appui de son parrain qui est le père Aupiais pour quitter cette liste afin de se retrouver sur la liste Union française. On peut vérifier le second mandat d’Apithy et il a passé sur la liste de l’union française et il a eu un collège qui est le Collège des citoyens français et celui des  indigènes. Donc c’est ainsi qu’il a quitté pour aller sur la liste de l’Union française. C’est cela  la réalité. Là aussi quelle est la responsabilité d’un gars du nord dans cette décision ? Troisième élément,  il n’avait qu’un seul parti politique l’Union progressiste Dahoméenne. Donc Ahomadégbé fâché, il quitte l’Upd, Apithy quitte aussi l’Upd pour créer en 1956 le Prd, Maga est toujours resté à l’Upd. Et c’est à ce second mandat que les militants de l’Upd originaires du nord ont dit ‘’ comme il y un second mandat, est ce qu’ils peuvent leur permettre maintenant que ce second mandat vienne au nord en faveur du Président Hubert Maga ? ’’. C’est là qu’on a pu positionner  Maga pour le nord. C’est là que le comité directeur de l’Upd a eu à dire que les gens du nord n’étaient pas mûrs pour mériter ce siège. Et ils ont senti ça comme une provocation. C’est en ce moment seulement qu’on a dit à Maga de quitter l’Upd à la veille d’une élection pour se présenter sur une liste indépendante. Comme il n’avait pas de parti politique, ils ont dénommé la liste Groupement ethnique du nord Dahomey (Gend)  qui deviendra Mdd puis Rdd. Voilà c’est en 1952 seulement qu’on a parlé de la sortie de Maga.  C’est comme cela que ce parti est mort pour qu’on aboutisse à trois partis Udd, Prd et Rdd. Voilà comment on est arrivé à avoir les trois partis politiques qui désormais vont animer la vie politique. Et les gens mal informés ont commencé par dire voilà les nordistes sont des régionalistes simplement parce qu’on a dit groupement. Voilà le processus. Et s’il y a quelqu’un qui peut me démontrer le contraire, alors je suis près au débat. Cela a gêné pendant longtemps la cohésion nationale et  qui a engendré les différents coups d’état qu’on a connu. Et c’est les conséquences de ce qui s’est passé de 1945 à 1960 qu’on a eu à gérer de 1960 avec toutes ces instabilités.  Voilà ce problème qu’on est en train de gérer jusqu’à maintenant. C’est ce qui nous a amené à changer le nom Dahomey. Les gens sont arrivés même jusqu’à parler entre 1968 ou 1969 de l’Etat de Bozama, un Etat fédéral. Donc vous voulez que le pays prenne le nom de Bozama ? D’autres ont voulu une succession nette en parlant de l’Etat de Latabor. On a puisé la cassure de tout ça. Dieu merci aujourd’hui on est resté à la République du Bénin.

Pourquoi la politique est basée sur le phénomène fils du terroir ?

Très bien. C’est là aussi l’affaire de responsabilité collective. Au lieu que de génération en génération qu’on essaie d’éduquer les jeunes sur la base de l’unité ; l’entente, on a développé leur mentalité en leur faisant comprendre que tel est du nord et tel du sud. Quand on est dans le sud, tel est fon, tel aïzo et dans le nord tel est dendi, et l’autre est bariba. Cela veut dire que quelque chose a raté au niveau de l’éducation. Alors lorsqu’on transmet cela aux enfants et que ça va de génération en génération, il n’y a jamais eu d’effort de conscientisation, d’éducation civique, d’amour de la patrie, d’amour du prochain. Au lieu de voir à travers les individus leur capacité intrinsèque, leur valeur de gérer ou de ne pas gérer, on voit son origine régional et ethnique. C’est ce qui fait que sur ce plan on n’a pas avancé.

Mais Maître Hounkanrin préconise une présidence tournante selon les régions, êtes-vous de son avis ?

En tant qu’acteur politique, je respecte son avis. Mais je ne suis pas de cet avis. Et la raison est très simple. Quand on parle de région, la limite du nord est où ? C’est d’abord un problème. Je reste d’abord dans sa logique. Aujourd’hui nous avons le nord géographique, le Borgou, l’Alibori, la Donga et l’Atacora, dans le centre il y a le zou, les Collines, le mono, le couffo et au sud l’Atlantique, le littoral, l’Ouémé et le Plateau. Voilà les régions. Maintenant c’est un gars du nord qui est au pouvoir et lorsqu’on dira cela par rapport aux régions, ce qui se passera est que les gens vont en arriver aux départements. Des gens diront mais pourquoi c’est telle personne qui a été choisie. Ce n’est pas tel département qui représente le nord. Ou bien au sud ce n’est pas tel département qui représente tout le sud. Maintenant lorsqu’on sera au niveau des départements, est-ce que la bagarre des communes ne va pas commencer, est-ce que les arrondissements ne vont pas s’y mêler pour qu’on en arrive aux familles ? Personnellement je respecte son avis mais je trouve  le contraire. Je propose qu’on travail pour que des valeurs s’affirment. Qu’on travaille pour que les Béninois aient une vision qui sera clairement définie avec des tâches bien claires. Et quelle que soit votre couleur, vous travaillerez pour une même cause. C’est la démocratie, il y a des textes qu’il faut respecter. Tous ceux qui veulent diriger viennent en compétition. Les Béninois sont intelligents pour faire leur choix.

Cela suppose qu’il faut reformer le système électoral afin de mieux structurer l’unité ?

Absolument. Je suis  parfaitement d’accord. Aujourd’hui vous êtes élus dans une circonscription électorale mais on dira que vous êtes député de la Nation. Or vous ne connaissez rien des autres coins. Quand les dossiers arrivent la tendance c’est de défendre les intérêts de son coin. Donc si j’avais des suggestions à faire, j’aurais préféré qu’on passe à un scrutin uninominal. C’est là le vrai député de la Nation. Vous pouvez être de l’Ouémé mais être plus assis dans le Borgou que le natif même. On devait permettre aux députés d’aller chercher les suffrages à travers tout le territoire. Et  au moment des élections, on dégage les 83 meilleurs. Là on est sûr qu’ils ont parcouru tout le pays afin de s’imprégner des réalités de chaque région.

En somme, l’acteur politique que vous êtes, a peur de l’avenir de l’Unité nationale

Moi je n’ai pas peur. Je suis optimiste par nature. Pourquoi je n’ai pas peur ? C’est que simplement je me dis que la vie humaine est d’abord le règlement d’une suite de problèmes. Tout peut arriver sauf la peur. Mais je dis que nous avons des problèmes pour consolider notre unité  nationale. Nous avons encore du travail à faire pour consolider l’unité nationale. Et pour le faire, il faut qu’on revisite notre système éducatif. Il faut commencer par la base, la famille et au niveau des dirigeants qui ne sont pas toujours justes. Pour l’atteindre, il faut l’honnêteté, la justice, le respect du bien public…

S’il vous était permis de conclure cet entretien, que diriez-vous ?

Je dirai ceci :50 ans sont passés, c’est du lait versé. C’est de se demander ce qui a été positif. Il faut les extraire et c’est cela nos acquis. Ce qu’on va continuer par renforcer en tenant compte des expériences. Nous devons nous baser sur l’exemple des Asiatiques, des Japonais ou des Chinois. Eux ils ont fondé leur développement sur la base de leurs acquis. Quand on a une vision, il faut la concrétiser et faire en sort que tous ceux qui viendront,  respectent cette vision.

Propos recueillis par Emmanuel GBETO

  

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