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Le triomphe de la vérité

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Femmes volées, amours violés : les autorités sont complices


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Violation des droits humains et violences liées au genre

Dans certaines régions du Bénin, des femmes et des filles sont victimes de mariage par rapt. Bénéficiant de la complicité passive ou active des autorités à divers niveaux, les coupables opèrent en toute impunité.  

Martine Patinvoh, 17 ans, originaire de Zouko à Sô-Ava, 30 km au nord de Cotonou, est victime de rapt. Ce 27 mars 2009, l’adolescente était en mission pour ses parents quand des personnes inconnues l’ont enlevée aux environs de 20 heures sur la route d’Abomey-Calavi.  « Quatre personnes m’ont accostée et se sont emparées de moi en me menaçant de ne pas crier si je veux rester en vie. Ils m’ont jetée dans une barque », raconte-t-elle. Après une enquête, les enleveurs sont identifiés et localisés. La gendarmerie intervient par la force pour les arrêter, mais elle les relâche quelques jours plus tard.  « Ce sont les autorités locales qui ont harcelé le Commandant de brigade et l’ont obligé à les libérer », se désole Célestine Kinsou Zannou, la responsable du Centre de promotion sociale (Cps) de Sô-Ava. Pourtant les examens médicaux révèlent des traumatismes psychiques et des douleurs au bas ventre chez Martine Patinvoh. « A son enlèvement, ses vêtements sont déchirés et elle est promenée de localité en localité entre Abomey-Calavi, Porto-Novo et Sô-Tchanhoué (Sô-Ava) où elle est plusieurs fois violée pendant huit jours », informe Célestine Kinsou Zannou. Rassurés de la couverture et de la protection des élus locaux de la commune, le receleur, un maître catéchiste proche des autorités communales, nargue les parents de la victime. Célestine Kinsou Zannou rapporte qu’il leur a demandé d’aller se plaindre au procureur s’ils le désirent et qu’il défie celui qui va oser venir arrêter les enleveurs et lui-même.

Dans cette localité, les auteurs d’enlèvement de femmes et les receleurs sont intouchables et bénéficient de la complicité des autorités locales. Comme dans d’autres régions du Bénin, l’enlèvement des femmes et des filles pour mariage forcé est une pratique courante au mépris du code des personnes et de la famille. Elle concerne des jeunes filles et jeunes dames de 14 à 21 ans et parfois plus. « Même des femmes enceintes et des femmes mariées sont parfois enlevées. Dans ces cas, des autorités en charge de l’état civil établissent des actes de mariage pour légaliser l’union sans l’accord de la femme », dénonce Sètchémè Jérônime Mongbo, directrice du projet Empower, spécialisé dans la lutte contre la violence faite aux femmes et aux filles. Des violations de la loi qui se multiplient en raison de l’impunité dont profitent les auteurs et leurs complices. La responsable du Cps de Sô-Ava se rappelle qu’en 2007, le commandant de la brigade de gendarmerie, alors en poste, a été muté sur demande des autorités locales pour avoir arrêté un receleur qui est membre du comité des jeunes de Sô-Ava et président du comité de gestion de l’hôpital. Il est reconnu coupable de l’enlèvement d’une fille de 17 ans qui a réussi à s’échapper après avoir observé une grève de la faim de quinze jours. Pour Joël Guidibi, responsable du Cps de Djakotomey, dans le département du Couffo à 130 km au Nord ouest de Cotonou, la politique se mêle de tout. « Dès que le coupable est un militant qui peut faire gagner des voix aux élections, de grandes personnalités (parfois des maires, des députés et des ministres : Ndlr) sont prêtes à étouffer la procédure judicaire en faisant pression sur la justice », déclare-t-il. A défaut, elles organisent la fugue des coupables avant de négocier un arrangement à l’amiable. « De très rares cas aboutissent à un jugement normal devant le tribunal », déplore la responsable du Cps de Sô-Ava. Cela est dû à ces pressions renforcées par des pratiques culturelles qui constituent des obstacles. Wabi Obadimedji, spécialiste anti-violence sur le genre, cite l’exemple des pratiques rituelles. « Dès l’enlèvement, des tabourets sacrés ou des poudres à avaler sont utilisés pour faire perdre la lucidité aux victimes qui témoignent alors de leur consentement à l’enlèvement et au mariage devant la police ou le procureur de la République », explique-t-il.

 Une lueur d’espoir malgré la désespérance

Dans un rapport aux responsables du ministère de la famille et de la femme en mai 2009, Célestine Kinsou Zannou décrit Sô Ava comme « un monde à part ». Elle raconte que rien n’a changé malgré les sensibilisations publiques qui sont faites chaque année par des Ong à l’occasion de la journée mondiale de la femme. « Même l’Unicef a aussi formé les jeunes contre le mariage forcé », ajoute-t-elle en se plaignant de la résistance des autorités locales. Pour elle, il y a deux raisons qui justifient  cette résistance : la peur de choquer les gardiens de la tradition qui sont des leaders d’opinion ayant une forte influence sur l’électorat. Le ministère se retrouve ainsi dans l’incapacité d’intervenir autrement en raison de l’absence d’un environnement juridique approprié. Léonard Laleyè, directeur adjoint de la promotion de la femme au ministère de la famille, dont la sœur a été aussi victime du phénomène, analyse la situation sous un angle plus complexe. Il indique que c’est un problème sensible d’ordre culturel qui influence la politique alors que les politiques en profitent pour conserver leurs électorats. Il révèle qu’il n’y a pas d’enlèvement sans contrat tacite précédent, parfois inconscient et de vielles dates du fait des parents et des clans. C’est la découverte de ces contrats qui bloque la justice et conforte la complicité des autorités. « L’absence d’une loi subséquente n’encourage pas les parents à coopérer par crainte des représailles », dénonce Léonard Lalèyè. « Il y a un problème de mentalité à régler », constate le sociologue Paul Balou.

Pour y parvenir, l’Etat béninois et des partenaires américains et européens travaillent sur une loi contre la violence faite aux femmes et aux filles afin de rassurer les victimes et les parents sur leur sécurité en cas d’action en justice. Une conférence d’information et de formation au profit des magistrats et parlementaires béninois, parrainée par les ambassadeurs des Etats Unis et de la France, s’est tenue en avril 2010 à Cotonou pour débattre de l’avant projet de loi. Il est question de redéfinir le contenu des crimes comme le viol, l’enlèvement, le mariage forcé, par échange, par rapt… et les sanctions applicables aux auteurs et leurs complices. Les législations françaises et américaines en la matière constituent les sources d’inspiration des experts. Le processus va prendre encore quelques mois, voire plusieurs années, au regard du fonctionnement de l’administration béninoise. En attendant, les victimes se comptent par dizaine au quotidien.

Dans les coulisses de l’enlèvement

Dans une enquête réalisé en 1998, sous le titre « Filles à vendre pour mariage forcé », pour le compte de Syfia International, Emmanuel Adjovi expose le déroulement d’un enlèvement. Il raconte : « Son panier de provision sur la tête, Pierrette s’engage dans la pénombre du crépuscule, sur une piste sinueuse quand deux grands gaillards surgissent pour s’emparer d’elle. A peine a-t-elle poussé un cri de surprise qu’on lui enfonce un chiffon dans la bouche pour l’empêcher d’alerter des secours. Arrive un troisième larron sur une moto qui embarque Pierrette avec l’un des ravisseurs et démarre en trombe ». Ainsi se déroulent les enlèvements. Les victimes encore en vie – certaines meurent par étouffement – sont séquestrées  après l’enlèvement dans des endroits difficilement repérables pour subir les assauts sexuels de leurs prétendants pendant des jours. Joël Guidibi, du Cps de Djakotomey, donne le cas de la petite Manvi Sénamè, 14 ans, en classe de 6ème, enlevée le lundi 7 juin 2010, à Kpoba, et encore introuvable quatre jours après. Rien d’alarmant, estime-t-il. « Si les enquêtes ne permettent pas de la retrouver, c’est sûr que des émissaires de son prétendant iront annoncer deux mois plus tard à ses parents qu’elle est déjà enceinte et vont demander sa main », explique-t-il. Devant le fait accompli, les parents se résignent et acceptent les formalités.

Ce sont les parents de la victime qui commandent parfois le rapt de leurs filles par des prétendants généreux. Claire Houngan Ayémona, magistrate, ancien ministre de la famille, de la femme et de la protection sociale et présidente de l’Ong Fondation Regards d’Amour (FRA) raconte un cas. « Ma surprise est totale, dit-elle, quand j’ai constaté que la personne habillée en accoutrement d’homme, cheveux et oreilles cachés sous un chapeau, n’est en réalité qu’une jeune fille d’environ 20 ans ». Ainsi déguisée, elle a pu échapper à son enlèvement pour mariage forcé prévu par son propre père pour la nuit de sa fuite. Elève en 3ème à Zinvié, elle recherche à la FRA une médiation pour convaincre son père de la laisser continuer ses études. Quelques fois, l’enlèvement commandité est fait alors que la fille est déjà enceinte de son amant. Le mari ravisseur s’attribue la paternité et donne son patronyme à l’enfant au détriment du véritable géniteur.  Certaines filles ficellent leur propre enlèvement par leurs amants pour éviter d’être données en mariage forcé. Des femmes âgées, déjà mères, tombent aussi sous le charme de cette aventure. En lien de mariage avec des hommes aux moyens limités, elles complotent leur propre enlèvement par des hommes riches. Elles réapparaissent plus tard, dans la peau de victime, avec une grossesse, en compagnie de leurs amants qui remboursent la dot donnée aux parents par l’ancien titulaire. Certains maris qui se sentent abusés prennent l’option de la violence. Le règlement se conclue dans le sang avec un ou plusieurs morts.

 A.    P. V. H.

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