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Le triomphe de la vérité

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Entretien exclusif avec Mme Conceptia Ouinsou: « Aucune pression n’a motivé une décision de la Cour Constitutionnelle »


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Sans doute pour une première fois, sous sa longue mandature, Mme Conceptia s’est prêtée sans tabou aux questions de la presse. C’est un mur de silence que votre Quotidien «l’Evénement Précis» a essayé de rompre devant le principe presque sacro saint de l’omerta dans les Cours de justice en général et spécifiquement des Sages de la Cour Constitutionnelle. Le Professeur Agrégé de Droit, formaté par son long séjour dans les arcanes juridiques et judiciaires et les rigueurs inhérentes à sa longue appartenance à la Cour Constitutionnelle, parle avec grande circonspection et mesure de ses expériences à la tête de l’institution constitutionnelle Béninoise. A le lire, on se démarque un temps soit peu du postulat commun projeté sur son institution et on se rend compte, comme elle la précise, que le Vrai n’est pas toujours vraisemblable.  Relaxe au cours de l’entretien et visiblement déchargée d’un lourd faix, « La Dame de fer » se prononce sur la perception du citoyen béninois de  l’institution qu’elle a dirigée, banalise les risques liés à sa fonction, confirme néanmoins les menaces sur les membres de la Cour, conseille les membres de la nouvelle mandature€¦ mais s’interdit de porter un jugement de valeur sur l’état de la démocratie béninoise. Au cours de cet entretien, elle ressassera plusieurs fois l’expression « intérêt collectif » qu’elle estime être le socle de toute décision d’une Cour au service de la veille constitutionnelle.
L’Evénement Précis: Mme la Présidente, votre mandature est à son terme. Quels sont vos sentiments en cette veille de votre départ ? 

Mme Conceptia Ouinsou: Ce sont des sentiments de libération. En effet, quand vous accomplissez en tout sacrifice une mission qui vous impose pendant plus d’une décennie des conduites de vie autre que celle d’un homme ordinaire, beaucoup de réserves et de retenus en toutes choses, on ne peut que sentir aux termes du mandat, un soulagement pour avoir réussi à conduire à terme une mission aussi contraignante. J’avoue que pendant plus de dix ans, je me suis privée du plaisir d’aller faire mes emplettes au marché, de répondre à une invitation de déjeuner d’un ami sans être étiquetée€¦ Je crois que je retrouverai les plaisirs d’une vie ordinaire quand bien même l’obligation de réserve me poursuivra encore longtemps, sans doute jusqu’à ma tombe.

Quel est le regard que vous portiez sur la Cour Constitutionnelle avant d’y arriver ?
j’avoue que je ne savais pas grande chose de la Cour Constitutionnelle avant la crise de contestation qui avait eu cours aux temps de Mme Pognon. Comme tout citoyen, j’observais la vie politique et institutionnelle d’un regard lointain sans jamais chercher à y voir de près. Ce n’est qu’à cet instant que mon attention  pour cette institution s’est  renforcée.

Si on vous demandait de faire un bilan sommaire de votre séjour à la tête de la Cour Constitutionnelle du Bénin, que diriez-vous ?
Ce ne peut être vraiment qu’un bilan sommaire puisque la Cour sous ma mandature a eu à effectuer beaucoup de choses capitales pour la vie démocratique au Bénin. Mais les décisions sur le respect des droits de l’homme au Bénin ont été  véritablement fondamentales. Je crois qu’aujourd’hui la situation des gardes à vue dans nos commissariats, notamment à Cotonou où le problème se posait avec acuité, s’est beaucoup améliorée. Par ailleurs, la régularisation des institutions de la république a été un acquis majeur qui nous a permis de maintenir dans les relations inter institutionnelles un climat de paix et de compréhension.

Toutes les décisions de la Cour Constitutionnelle sont-elles exécutées ? Pourquoi ?
je crois qu’à 90%, les décisions de la Cour Constitutionnelle sont respectées. Dans les autres cas, je ne saurais justifier ce qui conduit à leur non exécution mais je puis dire que ce sont les organes chargés de leur application qui sûrement apprécient le moment. Je ne saurais en dire plus.

 Pourquoi la plupart des requêtes du contentieux électoral sont rejetées ?
L’irrecevabilité des recours électoraux adressés à la Cour Constitutionnelle constatée est liée dans une certaine mesure à la forme desdits recours mais aussi à leur fond. 80% des recours sont déclarés irrecevables parce que ne s’étant pas conformés aux exigences de délai. Quant au fond, il y a une relative satisfaction de la Cour qui s’est rendue compte que les citoyens comprennent chaque jour davantage quand il faut saisir la Cour. Ce n’est pas parce que l’on a appris qu’il y a fraude quelque part, qu’il faut saisir la Cour. Le bouche-à-oreille ne fonctionne pas devant une juridiction. Il faudra disposer d’éléments probatoires assez convaincants pour soutenir ses allégations devant la Cour Constitutionnelle.

Comment appréciez-vous, au regard des éléments de preuves, les recours qui sont relatifs aux dons en période électorale ?
C’est une disposition législative dont le contrôle au niveau de la cour est assez complexe et  difficile déjà que généralement  les requérants eux-mêmes ne disposent pas des pièces à conviction qui fondent leur saisine. Mais il ne s’agit pas seulement de constater qu’il y don à l’endroit d’un citoyen pendant la période électorale pour saisir la Cour. Cela est insuffisant. Les textes exigent que cette libéralité ait une conséquence directe sur l’expression du vote. Ainsi donc, dans le contexte sociopolitique qui est le nôtre au Bénin, il est extrêmement délicat de veiller à l’application de cette volonté du législateur. 

Avez-vous l’impression que les populations béninoises sont suffisamment sensibilisées sur votre institution ?
La Cour a fait ce qu’elle a pu. On a constaté dans toutes les sorties organisées par la Cour Constitutionnelle sous mon mandat, qu’il y a des doléances récurrentes. Les citoyens pensent que la cour devrait avoir des annexes. Mais cet état de chose n’est pas du fait de la Cour mais de la Constitution béninoise elle-même qui n’a pas prévu de telles dispositions. Si la Cour devrait prendre des initiatives dans ce sens, cela ne peut être juste qu’une représentation faite d’ une ou deux personnes chargées juste de transiter les recours vers la Cour à Cotonou. Donc, nous avons senti qu’il y a vraiment un besoin pour les citoyens de saisir la Cour et c’est ce besoin qu’il faudra penser à faciliter la satisfaction. Néanmoins je pense que véritablement quand le besoin se fait urgent, les citoyens trouvent toujours un moyen pour saisir la Cour.

De votre position de gardienne de la Constitution, pensez-vous que la démocratie béninoise est réellement en danger?
Je ne sais pas s’il y a danger sur la démocratie béninoise. C’est à vous journalistes qu’il revient d’apprécier l’état de la démocratie au Bénin et de donner vos jugements. Certes, la cour Constitutionnelle est une institution qui veille sur le respect de la constitution mais cela ne l’autorise pas à apprécier l’état général de la démocratie jusqu’à se permettre d’y porter un jugement de valeur. Le danger est un fait. Nous ici, nous appliquons les textes. Aux termes des élections, la Cour se contente de proclamer comme le lui demande la Constitution, les résultats. Ailleurs il y a d’autres recours sur le respect des droits humains, et nous statuons à propos etc. Je crois qu’il est de la nature de l’homme de contester mais il faut daigner rester dans la légalité dans cette contestation.

Vous qui avez lu, relu à plusieurs reprises la Constitution béninoise et même été garante de son respect pendant plus d’une décennie, que croyez-vous qu’on doit fondamentalement changer dans cette loi fondamentale?
Ma position actuelle de Présidente de la Cour Constitutionnelle ne m’autorise pas à faire ces genres de propositions et je ne crois même pas pouvoir le faire aisément, entant que citoyenne simple, aux lendemains de mon départ de la tête de cette institution puisque le devoir de réserve continuera de me poursuivre. Le Président de la République  a mis en place un Comité qui s’y penche. Et il n’est pas de ma philosophie de parler à tort et à travers. Je ne dirai pas davantage sur cette préoccupation.

Quel intérêt a-t-on à être Président de la Cour Constitutionnelle ?
Aucun intérêt. Il n’y a aucun intérêt à être Présidente de la Cour Constitutionnelle. Peut-être que les gens qui aiment l’honneur vont y trouver un plaisir puisqu’ils estimeront que c’est gratifiant de circuler sirènes et gyrophares au poing. Mais moi particulièrement, je n’y trouve aucun plaisir. Je me comporte comme un citoyen ordinaire dans un service de l’Etat. Eu égard donc à mon tempérament, il n’y aucun intérêt.  Ce n’est pas à la Cour qu’on vienne chercher la richesse. Je pense qu’on est Président de la Cour parce que les textes veulent que quelqu’un préside non pas pour en  faire un privilégié ou lui offrir une certaine aisance financière mais pour le mettre au service de l’intérêt collectif. 

N’avez-vous pas l’impression que la charge de Président de la Cour Constitutionnelle est un risque énorme de sécurité personnelle ?
Comme toutes les fonctions  au monde, être  Présidente de la Cour Constitutionnelle a ses risques. Mais ces risques sont limités aux menaces au téléphone ou par courier. Par exemple, aux termes d’une élection, vous pouvez recevoir des appels anonymes vous menaçant de mort au cas où vos délibérations venaient à déclarer telle personne ou telle autre élue. En 2001, ma mère était mourante mais je n’ai pas pu traverser le pont de Porto Novo pour la rejoindre puisque les menaces sont énormes m’interdisant de franchir le pont . Mais quand elle est passée de vie à trépas, j’ai pu franchir ce pont grce aux mnes de nos ancêtres sans que rien ne m’arrive.

 On dit parfois que votre institution fait l’objet de beaucoup de pressions. Qu’en est-il ?
 Pour moi, il n’y a que la bière qui a de pression (rire). Même ma mère ne m’a jamais contraint à faire quelque chose. Si vous interrogez mes étudiants, vous saurez davantage sur ma nature d’homme. Je suis hostile à toute intrigue d’accord qui ne respecte pas les lois ou les intérêts de la communauté. Et quand la pression s’y mêle, cela n’a  aucune chance d’aboutir à mon niveau. Je suis venue sous le Président Mathieu Kérékou. Je crois que c’est un homme respectable et il est encore là. Vous pouvez toujours vous renseigner auprès de lui. Aucune pression de Président, de ministres n’a motivé une décision de la Cour. Pour vous en convaincre, on a la chance que les ministres changent facilement de camp aujourd’hui et s’il y en a qui se retrouvent aujourd’hui dans d’autres camps, ils peuvent venir témoigner contre la Cour à propos d’une pression ou d’une autre qui aurait abouti.

Que doit-on corriger dans le fonctionnement actuel de l’institution ?
il n’y a pas de problème majeur. Le minimum nécessaire a été accordé au personnel de l’institution quand bien même nous sommes par nature humaine des insatiables. De façon générale,  la première et la deuxième mandature de la Cour ont beaucoup tenu compte de l’environnement économique général du pays dans leur requête. Nous ne cherchons pas l’ostentatoire. Mais l’Etat de son côté a toujours essayé de respecter le minimum que la Cour réclame.
Néanmoins, la Cour comme toutes les autres institutions réclament une autonomie financière parce que  cette option permettra à l’institution de disposer de la possibilité de cumuler ses avoirs en caisse d’une année à une autre sans avoir la contrainte budgétaire de reverser chaque fin d’année dans les caisses de l’Etat ses crédits non consommés.

Maintenant que vous êtes en fin de mission, qu’est-ce que vous pensez que votre successeur doit faire pour garder la crédibilité de  l’institution ?
A la place du Président de la Cour Constitutionnelle, l’ingratitude est à la limite une valeur. Pierre, Paul ou Jean peut me nommer ; cela n’a pas de conséquence sur la mandature du Président. Il doit toujours veiller à faire ce qui est bon pour la Cour. Et la Cour agit toujours dans l’intérêt de la communauté jamais pour plaire aux intérêts d’un individu. Il y a une anecdote qui circule entre nous membres de la Cour et qui dit que si c’est la pte et le gombo que le citoyen béninois doit manger tous les jours pour satisfaire sa faim, la cour fera tout pour qu’il puisse le manger sans avoir à traîner son foyer et ses bagages sur la tête à la fuite de tirs des armes. La mission fondamentale donc de toute Cour devra être d’assurer au pays, la concorde, l’unité et la paix.
Par ailleurs, je recommande aux nouveaux conseillers de toujours prioriser en toutes choses l’intérêt général. Au nouveau Président, d’avoir le sens des relations humaines puisqu’il aura un personnel à gérer quand bien même, il y a un Secrétaire général. Le prochain Président doit être rigoureux mais juste et toujours faire prévaloir l’intérêt de la collectivité.

Propos recueillis par Gérard AGOGNON et Médard GANDONOU

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One thought on “Entretien exclusif avec Mme Conceptia Ouinsou: « Aucune pression n’a motivé une décision de la Cour Constitutionnelle »

  1. LA CONSTITUTION EN AFRIQUE

    La Cour Constiutionnelle Ouinsou a été très méritante. Au moment où elle tire sa révérence, je vous invite à lire et à commenter sans modération les derniers papiers parus sur LA CONSTITUTION EN AFRIQUE:

    * En guise d’hommage à la Cour Constitutionnelle Ouinsou
    http://www.la-constitution-en-afrique.org/article-20253682.html

    ° Le décret sur l’OPM de Tévoédjrè est anticonstitutionnel
    http://www.la-constitution-en-afrique.org/article-20215253.html

    ° Quand la Cour Constitutionnelle valide la Cour Constitutionnelle

    Au plaisir d’échanger

    SB

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